« Até aqui tudo bem », la « felicidade » brésilienne en danse au Phare

Pays de métissages, danse de métissages

Dans cette chorégraphie, créée par intermittence depuis septembre 2024 au sein de différentes résidences, et presque finalisée après quinze jours de résidence au Phare – Centre Chorégraphique National du Havre Normandie, on décèle un métissage. Un métissage de différentes danses, de différentes personnalités, de différentes histoires. Bouba Landrille Tchouda nous partage son amour du Brésil et de sa diversité à travers des scènes, des pas de danse, des musiques et des danseureuses toujours très variés. Et pourtant tout cela fonctionne, esthétiquement, auditivement mais aussi et surtout par l’énergie qui est véhiculée depuis la scène. Bouba Landrille Tchouda nous montre que dans la société tout comme sur un plateau, le métissage des cultures, des intimités, des styles, fonctionne.

« J’ai travaillé avec leur entièreté »

Le chorégraphe explique avoir un processus de co-création avec ses danseureuses, permettant de mêler le hip-hop commun à tous les sept, et les spécificités que chaque individu peut apporter, que ce soit par leurs différentes formations artistiques ou par les différentes histoires qui les construisent. Bouba Landrille Tchouda fonctionne souvent en racontant à ses danseureuses une histoire, en leur montrant un film ou encore en leur lisant un poème, pour qu’ils saisissent de quoi il veut parler, ce qu’il cherche à déclencher chez eux, puis la troupe se lance dans des improvisations. Le chorégraphe filme l’entièreté des séances de travail, puis y puise des éléments pour ses chorégraphies, développe au fur et à mesure des passages qui lui plaisent. Toute la construction de ses œuvres se fait par allers-retours entre ce qu’il demande à ses danseurs et ce qu’ils lui renvoient sur le plateau. Dans ce travail collectif, chaque rôle est profondément individuel : chaque danseur y met de sa personnalité, de son intime, et si un danseur venait à devoir être remplacé, c’est l’entièreté de la chorégraphie qui devrait être modifiée.

Un voyage au Brésil qui a bouleversé une vie

Rien ne prédestinait Bouba Landrille Tchouda, né à Douala au Cameroun, et ayant grandi à Grenoble, à se lier si profondément avec le Brésil. En 1993, le voilà qui s’envole un an à Salvador de Bahia pour y étudier la capoeira. Il y restera en réalité trois longues années, et y retournera plusieurs fois par la suite. Nombreuses sont ses créations liées au Brésil, et « Até aqui tudo bem » en est probablement le paroxysme. Les sept danseureuses – quatre danseurs et trois danseuses – sont brésilien·ne·s et s’expriment sur leur réalité, sur leur vie au Brésil mais aussi et surtout sur ce terme, « jusqu’ici tout va bien », très aimé par les Brésiliens et surtout très utilisé dans les favelas, où les lendemains sont toujours incertains. 

La « felicidade » brésilienne

La chorégraphie de Bouba Landrille Tchouda nous plonge dans ce qu’il appelle lui-même la « felicidade » brésilienne, cette forme de résilience et de joie de vivre à toute épreuve. Les danseureuses chutent, se relèvent, rechutent violemment, mais la musique et les pas de danse leur permettent de ne jamais rester trop longtemps au sol. La danse vient alors illustrer la vie : on tombe, mais on finit toujours par retrouver espoir, par se relever. Le chorégraphe montre également que la danse permet de tout faire, de tout se permettre, et même de franchir les limites des barrières sociales, de l’intimité – limite qui reviendra dès que les danseureuses « verront » le public, brisant le quatrième mur et les obligeant à se conformer aux limites sociales, aux limites du montrable. Bouba Landrille Tchouda et la compagnie Malka nous montrent que par le corps, nous avons le pouvoir de tout exprimer. Ils envisagent la danse et toute expression à travers le corps comme un acte de résistance, comme une lutte politique, comme une forme de résilience face à la vie. Au-delà de tout, ils nous donnent envie de danser, envie d’aller au Brésil mais aussi et surtout ils nous donnent envie de voir plus de créations de leur part.