Toujours aux Inaccoutumés, nous retrouvons avec joie la reine de la lenteur chorégraphique, Myriam Gourfink. Celle qui, depuis plus de vingt ans, creuse ce sillon sans jamais en dévier. Elle reprend Arche, une pièce créée en plein Covid, en toute intimité, en 2021. Cette fois, c’est dans le Off, la lumineuse salle mythique de la Ménagerie de Verre, que la pièce trouve la concentration nécessaire pour la voir et l’entendre.
Arche est une pièce sombre et très puissante. Arche vous traverse comme un souffle vital, ce qui n’est pas étonnant pour un spectacle créé en huis clos dans un moment de désespoir total. Pour ce spectacle, Gourfink nous installe en tri-frontale, pleine lumière. On se voit, on se regarde. Mais pour l’instant, ce sont elles qui se regardent : placées en diagonale, aux extrémités du tapis de danse blanc – blanc, il faut le préciser. Deborah Lary et Véronique Weil avancent. Kasper T. Toeplitz, lui, est là, impérial, derrière un arsenal brutiste. Prêt à en découdre. Et surtout, surtout, ne jamais nous donner quoi que ce soit qui ressemble à une mélodie. Ce serait un affront.
Comme toujours chez Gourfink, ça avance donc. D’abord vite jusqu’au centre de l’espace de scène. Et puis l’extrême lenteur prend le relais. Ce n’est pas un effet de style, c’est un état qui plonge dans la profondeur des gestes jusqu’aux petits orteils. Le duo s’entremêle, se soutient, évite la chute. Dans ses pièces, Gourfink n’a qu’une ligne de conduite qui prend différentes formes. Elle étudie les contractions possibles du corps rencontrant la pression de l’air qui l’entoure. Comme dans Structure Souffle (2021), Gris (2016) Amas (2015), Rêche (2024) l’espace de la danse est restreint. Ici aussi, tout se joue dans cette contrainte de la contraction et de l’expansion des muscles et du souffle.
Il faut se rappeler : cette pièce a été écrite en 2021. Elle ralentit avant Rêche, la création de Gourfink au Panthéon pour le Festival d’Automne et l’Atelier de Paris. Cette pièce qui, pour la première fois, posait un rapport charnel entre les interprètes. Mais ici, on le comprend : ce rapport était déjà là. Dans Arche, au moment où il était interdit de se toucher.
Arche est là pour nous rappeler que se toucher est essentiel, que c’est beau. Il y a des têtes soutenues l’une par l’autre, des chandelles à quatre jambes, des corps qui se fondent, animalité totale (dont une araignée parfaitement stable sur ses huit appuis, superbe !). Gourfink a souvent exploré cette piste, notamment dans Bestiole. Comme toujours chez elle, tout devient hypnotique et méditatif. Il suffit d’entrer dans le souffle des danseuses et dans le bruit de Toeplitz, qui lui aussi devient hypnose. Alors, le transfert est total. On est pris.
Myriam Gourfink répond en des ouvertures d’épaules immenses et des torsions intenses : comment passer au geste suivant ? Et comment le faire le plus lentement possible ? Comment traverser en ne bougeant presque pas ? Comment se traverser ? Et bien, en ayant la chance de voir et revoir ses pièces qui suivent une ligne précise sans jamais se recopier.
À voir à la Ménagerie de Verre le 21 mars à 20 heures. Le festival Les Inaccoutumés se poursuit jusqu’au 5 avril.
Spectacle créé le 23 novembre 2021 au Théâtre du Beauvaisis à Beauvais (dans le cadre de Next Festival). Présenté avec le soutien de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels
Visuel : © Laurent Pailler
Vidéo : © Gilles Paté