Avec « America », Martin Harriague et douze danseurs de l’Opéra Grand Avignon propose une pièce chorégraphique férocement satirique. Ça fait rire, ça fait peur et ça marche très bien.
C’est une des danseuses de la compagnie qui ouvre le bal, dans un solo chorégraphique heurté, tendu et percutant. Que raconte-t-il, ce corps en pure tension ? Difficile de le dire encore, même si l’on sent déjà la souffrance, le désir d’expurger quelque chose en soi… Ou bien l’agitation vaine, obsessionnelle, thème qui infusera d’ailleurs tout le spectacle. Car les douze danseurs de la compagnie sont à la fois les incarnations du tristement célèbre président Donald Trump, mais aussi, à d’autres moments, celles des citoyens parfois victimes de ses agitations discursives sans fin, tournant autour des mêmes signifiants maîtres : l’immigration, le « qui-qui-paie les taxes », les murs, la sécurité. Le pari est réussi de faire résonner dans la danse et dans son rythme ses obsessions sans cesse répétées, sans cesse martelées. Le tout crée un effet à la fois (très) drôle et glaçant ; mieux vaut parfois rire que pleurer, dirons-nous pour nous déculpabiliser.
Il n’est pas facile d’outrer un personnage aussi outrancier que l’est déjà Donald Trump sans tomber dans le plat pastiche ; cet écueil est évité par la mise en scène de Martin Harriague, qui repose aussi sur l’utilisation pertinente de retransmissions audiovisuelles s’accordant parfaitement avec le rythme frénétique de la représentation et qui, sans expliciter le propos, rappelle sa raison d’être. Oui, cette satire chorégraphique doit exister, quand l’on voit les inanités proférées par Trump à chacune de ses apparitions. On pourra souligner malgré tout certaines facilitées de montage ; les répétitions de mots avec un son déformé, par exemple. Mais avouons-le, même ces petits arrangements sont jubilatoires, adjectif souvent galvaudé dans la critique journalistique, mais qui prend ici tout son sens à entendre les éclats de rire des spectateurs. La caricature atteint son apogée lorsque les danseurs arrivent sur scène revêtus d’un masque de Trump pour effectuer ensemble une sarabande narcissique et uniforme, que nous observons fascinés, d’abord parce qu’elle est brillamment exécutée, ensuite parce qu’elle est aussi le reflet de cette partie de l’Amérique tellement sûre de son bon droit.
Finalement, un des points qui nous a le plus intéressés dans cette représentation est la force et l’union qui se dégagent du collectif de ces danseurs brillants ; les scènes de solo sont remarquables mais les scènes collectives le sont tout autant. Qu’ils dansent en chœur ou en canon chorégraphique, en rythme concordant ou discordant, on sent que la pièce est le fruit d’un travail collectif réussi. Cette symbiose est d’autant plus pertinente qu’elle apparaît finalement, à un niveau plus intra-diégétique, comme une des possibilités de la lutte contre une forme d’obscurantisme incarnée par cette présidence Trump. Un des tableaux finaux, une scène de porté collectif dans laquelle on retient notre souffle, est à cet égard particulièrement émouvante ; aussi parce qu’on n’est pas sûrs, finalement, que cet espoir d’union suffise, étant donné la retombée ironique sur laquelle se clôt le spectacle. Tout le monde est debout à la fin ; courrez-y vite, c’est seulement jusqu’au 13 !
Spectacle à retrouver à la Scala de Provence, du 5 au 13 juillet à 21h30 (durée : 1h)
Le Festival d’Avignon se tient jusqu’au 26 juillet. Retrouvez tous nos articles dans le dossier de la rédaction.
Visuel : ©TTS Pictures