Émilie Peluchon est, vous le savez, la directrice du festival La Maison Danse Uzès. Et elle a souvent de bonnes idées, comme celle de rassembler deux programmes pensés pour la formation professionnelle du danseur interprète Coline (Istres). Life is Better at the Beach, une création sur-mesure d’Alban Richard, et MUD / Le final, un extrait de la pièce Mille et une danses de Thomas Lebrun. Deux spectacles à la cohérence totale qui permettent de montrer les possibles, entre lignes précises et courbes parfaites, de ces treize interprètes brillant.e.s.
Cette partition présentée comme étant « au croisement de la plage et du disco » nous expose le groupe des treize au fur et à mesure. Une première arrive, en short sur son maillot une pièce, et elle cherche la position qui la rendra la plus instagrammable. Pour cela, il faut ralentir le geste, avoir l’air hautain, regarder de côté, tourner le cou pour chopper la lumière. Le bas du corps n’est pas en reste. Lui aussi se décale de façon assez inconfortable. Il ne se déploie jamais vraiment. Mais, vous connaissez le problème de la plage en été, c’est vite blindé. La solitude ne dure pas, ils et elles arrivent, par grappe, chacun.e prêt.e à se jeter à l’eau.
Le grand bain en l’occurrence se matérialise par une délirante composition de lignes qui permet à la fois de les faire travailler sur l’unisson et sur ses points de rupture L’écriture est au cordeau. Les temps sont complètements chamboulés. Leurs seuls repères sont ceux de la bande-son démente qui se résume à une seule chanson, elle aussi chamboulée. Et quelle chanson ! Pendant les 35 minutes que dure cette leçon de marche accidentée, on entend « I feel love » de Donna Summer, triturée, répliquée, augmentée et, quelques fois, complète. Les boucles du début sont l’occasion pour ils et elles de lever un bras presque en arabesque, de se croiser les un.e.s et les autres dans un demi-tour qui demande une dextérité folle. La pièce est très technique dans sa réalisation. Elle ne tient que si toustes jouent le jeu, que si toustes vont dans la même direction en même temps. La marche devient une pulsation disco obsédante et terriblement bien exécutée.
Après un efficace passage de balai, nous retrouvons la même équipe en version glam. La plage a laissé place à une soirée chic. Les baskets ont été rangées au placard, les pieds sont nus et les corps brillent en lurex et paillettes. La lumière les sculpte. Bienvenue dans le monde de Thomas Lebrun où le néo-classique et la pop se croisent pour le meilleur, le disco est resté sur le sable, mais l’amour existe encore, Elvis le chante.
Ce spectacle est une transmission. Il s’agit donc du final de Mille et une danses écrit en 2021. Il est à la fois d’une élégance folle, d’une précision dingue, et il déborde de malice. Là encore, les unissons et les unités sont présentes, ce qui nous donne une autre approche de ces interprètes tous très singuliers. Tout comme chez Alban Richard, la question de leur identité est présente. Il n’y a pas d’unité de costume, pas d’unité de genre. Ils et elles sont comme ils et elles sont, c’est tout.
L’écriture est celle de Thomas Lebrun, à 100 %, il inscrit dans les corps des profondeurs presque classiques. Les jambes vont chercher loin le pas de côté, les chevilles se tendent, les entrées et les sorties se multiplient, donnant l’occasion aux interprètes de montrer leurs singularités. On se marre aussi pas mal, face à des scènes façon concours de danse improvisé. La partition leur impose de changer de registre en quelques secondes. Le travail sur la précision des lignes et les farandoles bauschiennes sont, chacun.e à leur endroit, magnifiquement exécutés.
Le passage des horizontalités de la plage aux profondeurs courbées de la nuit est un exercice subtil qui démontre la précision de la formation Coline. Ils et elles sont à suivre de près. Retenez leurs noms : Bilal Alami Badissi, Joffrey Bardot, Hippolyte Desneux, Pénélope Estevez Perera, Cassandre Guerdat, Isaë Lecarpentier, Juliette Peyronnaud, Yuma Pochet, Thaïs Robin, Noah Deneulin-Rolland, Matéo Souillard, Lilian Taillard et Anaëlle Thiéry.
Le festival La Maison Danse Uzès continue jusqu’au 9 juin.
Visuel : ©Sandy Korzekwa