Les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis sont très souvent le lieu de la découverte en matière de danse et de performance. Hier soir, à la Chaufferie de Saint-Denis, nous avons découvert, ému.e.s jusqu’à l’os, la pièce parfaite de la danseuse et comédienne Solène Weinachter.
Nous la découvrons en pantalon taille haute et T-shirt. L’espace est presque vide, juste habité par un tabouret et quelques lignes de lumière. Nous apprenons très vite que nous sommes toustes réuni.e.s pour l’enterrement de Tonton Bob. Alors, toustes ou presque. Solène compte les rangs, son père, ses sœurs, sa belle-mère, mais pas sa mère, jamais là à l’heure. Solène parle, parle beaucoup et pendant qu’elle parle, infiltre du mouvement, dans son visage et dans ses gestes. Elle est très drôle en voulant nous faire rire du pire comme dans une blague de Chaplin. Elle joue avec nos émotions, en nous imposant une version pour ocarina de « Comme d’habitude » de Claude François… peut-on faire plus kitsch ? C’est cela qu’a entendu Bob, dans son cercueil, pour son dernier voyage. Parce que personne n’avait pensé à une chanson, alors, les pompes funèbres ont décidé. Et là, face au moment, face au vide, le père de Solène lui dit cette phrase qui ne nous fait pas rire du tout : « Solène, s’il te plait, danse », là, dans le crematorium.
Alors, elle danse, et si bien, peut-être trop bien, trop beau. Quelque chose cloche. Au bord du jazz, elle déhanche, balance les cheveux, change ses appuis avec une grande fluidité. Et effectivement, ce beau pour dire la mort est un artefact, une grande séduction pour nous préparer à la vérité. La voix et les mots reviennent, mais désormais tout dansera. Au bord de la performance, Solène Weinachter semble être la digne héritière de Valeska Gert, expressionniste allemande, juive, qui a fui le nazisme pour New York avant de revenir à Berlin après-guerre. Valeska est vue comme la première à avoir utilisé la voix sur une scène de danse. Entre clown et perf donc, Solène Weinachter réfléchit sérieusement à la cérémonie de son enterrement.
Elle convoque des chansons tristes et drôles à la fois, comme «Cosmic dancer» de T. Rex qu’on a entendu dans une scène culte de Billy Elliot. Et étonnamment, elle ne convoque pas Dalida. Pourtant, Solène hurle son envie, elle aussi, elle partirait bien devant les projecteurs, le cœur ouvert tout en couleurs. Faussement légère, faussement jolie, la pièce ne cesse de faire des aller-retours pertinents entre le beau et l’absurde. Finir en beauté n’est pas l’idée ici. Au fil du spectacle, elle partage des éléments de réflexion qu’elle a eu lors de la création, comme cette jolie idée de partir dans un cercueil tressé en osier. After all souffle le chaud et le froid, les rires et les larmes, la belle danse et le bon théâtre. Et c’est sur ce fil-là, celui sensible et fragile de l’entre-deux qu’elle livre un spectacle pas du tout morbide sur la mort. Le seul problème, c’est que vous risquez comme nous de fredonner « Faisons l’amour avant de nous dire adieu » de Jeanne Manson jusqu’à votre dernier jour !