« Programmé par quelqu’un qui ne programmera plus »
22h, Théâtre de l’Agora, non loin de l’immense cour carrée qui, comme l’a annoncé Mickaël Delafosse, le merveilleux maire de la ville, portera cette saison le nom de Jean-Paul Montanari, l’iconique directeur de Montpellier Danse, mort presque sur scène à l’orée de ce qui est — et devait être de toute façon — sa dernière édition. Un grand rideau noir cache le joli mur de ce lieu en plein air, évidemment médiéval, comme tout dans cette ville. En guise d’annonce téléphone, deux personnes viennent nous lire un texte assez foutraque sur le spectacle que nous nous apprêtons à voir. On nous dit qu’il s’agit « d’un vieux spectacle », et pourtant, c’est une création mondiale. Alors, qu’est-ce qu’un vieux spectacle ? C’est peut-être du théâtre un peu à l’ancienne, qui remue les codes du burlesque pour nous faire rire, et ceux du cirque pour nous éblouir ?
Se replier sur soi
Sur scène, il y a un vestiaire, des chaises, une armoire, et quelqu’un qui dort. Une autre arrive et se plie, se replie sur elle-même ; le geste est un origami corporel. C’est beau et un peu triste. On est quelque part entre les augmentations de Vimala Pons et l’humour des Marx Brothers dans A Night at the Opera. Très vite, l’iconique scène de la représentation où tout s’effondre est rejouée, le chant lyrique en moins. Comme dans le film, tout se casse, tout tombe dans un grand vacarme. Camille Boitel et Sève Bernard doivent faire avec les éléments — contre les éléments plutôt — et donc escalader, s’accrocher, voler en prenant appui sur tout ce qui passe : un projecteur, un échafaudage et beaucoup de chaises. Et puis d’autres apparitions se font, un personnage blanc joue à cache-cache jusqu’au grill au-dessus de nous, et les technicien·ne·s, très à vue, sont pris à partie des grands chamboulements de ce théâtre à la croisée du corps et de l’objet, digne du Théâtre du Mouvement de Claire Heggen.
Jouer à se faire peur
Les interprètes sont époustouflants de technique de cirque. Ils et elles ont des corps élastiques qui restent debout même quand ça tangue au-delà du supportable. Le burlesque ne quitte jamais cette accumulation de saynètes presque sans queue ni tête. C’est l’accumulation des images qui finit par avoir du sens. Au début de cette journée, il a fallu sortir d’un lit et, à la fin, se retrouver dans l’impossibilité de se porter soi-même sans l’aide d’une armée à son service et de trépieds de bois trop hauts pour soi. Les aficionados diront que cette pièce n’a rien de neuf dans l’univers de Boitel et Bernard, mais celles et ceux qui, comme nous hier, découvraient ce travail seront séduit·e·s par la vision d’idées rocambolesques mises en acte. Les contraintes sont à la fête et viennent se nicher dans ces tout petits riens qui deviennent délicieux, comme le fait d’arriver à se servir un verre d’eau — même ça, parfois, quand ça ne passe pas, c’est difficile. Alors, vous mettrez bien tout ce que vous voudrez derrière les images qui défilent, comme un vieux film réalisé en 1935 : vous y mettrez l’amour fou de la machine à faire du théâtre, et le plaisir coupable d’éclater de rire comme des gosses face à leurs pitreries diablement bien réalisées.