L’équipe est solide, dynamique et rythmée et pourtant Medhi Kerkouche et Lucie Antunes passent à côté de ce désir de danse qu’ils souhaitaient partager. La forme concert de « 360 » création donnée à Chaillot du 14 au 17 mai s’est heurtée à l’impassibilité d’un public plus à l’écoute de la situation qu’à l’envie de se donner. Une rave party sans le rêve….
Pour la deuxième saison, Chaillot théâtre national de la danse a pris en compte le changement radical du désir des jeunes, se cultiver oui mais pas comme çà expression faisant référence aux traditions des Lieux de spectacles. Bousculant ses habitudes, il s’est donné comme objectif d’aller tutoyer la jeunesse. Les « Chaillot expérience » week-end dansés, festifs et participatifs sont nés de cette réflexion. Ils ont pour vocation d’élargir le public en proposant des spectacles et moments de rencontres au gout du jour. Certains diront c’est la fête d’autres c’est la foire, effectivement, vous ne croiserez pas jean Vilar dans les escaliers, mais des baskets vibrionnant sur des sons électro, bousculant les codes avec une grande décontraction.
« On danse chez vous » proposé les 17 et 18 mai était du même acabit. Cours, performances, discussion, Battle, spectacle, DJ set, tout est sur la table et dans chaque recoin de Chaillot ! Hommes et femmes, jeunes et parfois plus âgés, semblent célébrer une nouvelle messe pour le temps présent. Celle du je consomme donc j’existe ou plus positivement j’existe donc je danse ? « 360 » la dernière création de Mehdi Kerkouche donnée en soirée avait tout pour s’inscrire dans cette fresque sociétale actuelle qui associe jeunesse, musique, phénomène de groupe et ambiance festive. Hypnotisé par les sons et les rythmes, absorbé par la déferlante d’énergie des danseurs, le public n’a cependant que peu répondu à l’appel de la danse.
Dans la salle Gémier, le public se tient debout autour d’un plateau circulaire façon « Boléro » sur lequel est érigé au centre une tour métallique comme s’élevait chez Béjart la figure du danseur. Quelques personnes restent assises au risque de ne rien voir ou de ne rien faire, car Mehdi Kerkouche souhaite faire danser les gens. Les danseurs et les danseuses disséminés dans la salle, traversent le public et montent un à un sur la plateforme, affirmant par là le geste immersif voulu par l’artiste. Un son continu arrive, s’amplifie et nous mettons nos bouchons d’oreilles. Tout est sombre, sur le plateau où dominent le noir et le gris des costumes type quotidien des rues, comme dans la salle graduellement envahie par la fumée. Dans cette atmosphère un rien brutale, les danseurs et les danseuses s‘embarquent avec vigueur dans une série de sauts sur un tempo marqué, rappelant le jumping style cher à La Horde, ponctués dans leur répétition par des jeux de têtes et de bras. Un principe d’accumulation est à l’œuvre. L’énergie déployée est écrasante, on sent le guerrier derrière le danseur et quand les faisceaux lumineux percent l’espace, on pense à des scuds…
La danse s’écrit en séquences dans un principe simple : un mouvement est lancé, repris, répété et soutenu par la musique de Lucie Antunes spécialiste de compositions enivrantes qui allient rythme, électro et musique contemporaine. Une idée, une séquence. Toutes ne sont pas à retenir. L’ensemble pêche par un manque de recherche gestuelle et des facilités sans doute vécues comme séduisantes (ont-ils, ont-elles, besoin de s’accrocher si longtemps à la tour ) ? ). On retrouve par ailleurs les thèmes traditionnels de la culture hip hop, la dureté des rapports homme/ femme, les combats entre hommes digne des sorties de boites de nuit comme Métropolis et son énergie tectonique, une imagerie grille – murs – cage à escalader les vrais mantras de la danse de rue depuis West side story, de nombreux corps à corps mais aussi le clapping et les percussions moment rythmique (très à la mode) assuré notamment par les frappes des danseurs sur les montants de la tour. L’énergie du combat transpire des corps. Les thèmes actuels comme le harcèlement ne sont pas éludés lorsqu’une danseuse s’engage dans une course interminable, elle court en cercle sur la plateforme. Un homme marche et la suit. Dans l’univers de violence qui se crée, doit – elle courir comme Babe dans Marathon man pour sauver sa peau ?
Beaucoup des références convoquées dans la danse, portées par la musique devenue obsédante, cherchent le spectaculaire. On court, On s’affronte, on escalade, on se bat, Les danseurs sont sollicités dans leur dimension physique, la jeune fille debout à mes côtés commentait « ils ont un bon cardio et sont musclés ». Les codes du spectacle sportif se dévoilent tout autant que ceux de la domination qui savent créer du relief. L’intention de Mehdi Kerkouche était de rendre le spectateur ou la spectatrice aussi actifs que le danseur ou la danseuse pendant la performance. Si la forme circulaire convoque le tribal et la danse collective, la scénographie choisie, une plateforme finalement haute et la tour surplombant comme une tour de contrôle, mobilise ni l’identification aux danseurs ni la simple envie de danser sur la musique. Elle oblige à lever la tête, perdant du même coup le sol, le lieu de la danse.
Pour Mehdi Kerkouche la notion de spectacle a changé. L’époque n’est plus celle où l’art était là pour provoquer le public, le déstabiliser. Il s’agit aujourd’hui de le séduire et de l’embarquer avec soi. Le chorégraphe tel qu’il se définit souhaite abolir les frontières et assume jouer des diverses influences qui le constitue. Il est proche du clubbing, de l’événementiel, des concerts. Pour lui, le public va au spectacle pour se divertir et vivre un moment collectif. Abattre les murs entre le public et le danseur n’est pas tant une réflexion sur la place du public dans l’œuvre comme en parle Jacques Rancière mais plutôt la recherche des conditions d’un partage d’expérience. Cette pensée généreuse reste sans réponse au pied du dispositif scénique choisi pour créer du lien. Les corps n’ont pas vibré à l’unisson, submergé qu’ils étaient par l’énergie parfois violente des danseurs et la force de la musique.
L’envie d’une communion avec le public est mise à l’épreuve avec « 360. Le public aussi.
Être debout pendant plus d’une heure sans changer de place ni danser n’est pas réalisable à tout âge. Nous avons partagé avec d’autres l’inconfort ressenti par nos corps fatigués… et nous avons dû abandonner l’idée du DJ set. Ce spectacle s’adresse à un public jeune, sans parler de discrimination, c’est dommage. Élargir le public ne veut pas forcément dire le renouveler…
Visuel : © Hanna Pallot