La pièce Dans la solitude des champs de coton qui se joue à la Villette cet automne est la rencontre entre deux classiques contemporains : Bernard-Marie Koltès, qui a écrit la pièce en 1985 et Marie-Claude Pietragalla qui le met en scène avec sa compagnie Le Théâtre du Corps, créée avec Julien Deruault. Un décor minimal, une voix off, un spectacle classique et krump : à voir !
La pièce est un théâtre de confrontation, d’explications. Elle oppose le Dealer et le Client. Le Client se disculpe d’aller voir le Dealer. Le Dealer explique les réalités : la dépendance, l’attraction, les rapports de subordination, l’abdication. Quelque chose se cache derrière cette opposition : la tension du désir.
Pour raconter cette histoire, l’interprétation semble construite sur une graduation en cinq points : l’évitement, l’hésitation, l’acceptation, la confrontation et le conflit.
La première partie montre deux mondes bien distincts : chacun parle de son texte avec une gestuelle sèche et saccadée inspirée du krump, sans interactions. Ils dansent comme s’ils étaient chacun dans leur coin. Même quand ils tournent autour de l’autre, ils ne se regardent pas. Pourtant, c’est bien une rencontre que la pièce nous raconte, celle d’un point de deal. Pour dessiner celle fuite morale malgré la présence physique entre les personnages, Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault ont finement choisi une voix off. Elle semble presque la lecture d’un dialogue épistolaire car elle résonne de distance. En même temps, le texte de Bernard-Marie Koltès à la particularité de n’être que du texte : il n’y a aucune didascalie apportant des indications spatio-temporelles. On ne sait rien de la forme physique de cet échange, ni du lieu, ni du temps : est-ce qu’il y a quelque chose à côté d’eux, un banc public, un arbre, un trottoir ? Est-ce qu’on est dans une rue ? Est-ce que c’est la nuit ? La rencontre n’a d’espace que celle du temps durant lequel lecteur ouvre le livre.
La voix off met en abyme avec justesse la tension entre le Dealer et le Client, et elle rend minimale la scénographie pour mieux répondre aux attentes du Théâtre du Corps : ne laisser la place qu’au corps pour raconter. Seul lui peut mettre en scène une pièce de théâtre.
Julien Derouault et Dexter (Pierre-Claver Belleka) dansent l’évolution de la relation de leur personnage. Après s’être évité, les danseurs interprètent la fuite. Le Dealer va vers le Client mais celui-ci le fuit : il s’élance en sens inverse, met toutes ses forces pour s’opposer à sa direction. Il faudra du temps pour que les danses soient symétriques. Dans ce qui pourrait être un troisième tableau, les pas commencent à s’aligner. Sans se répondre, ils dansent au moins en parallèle. La tension augmente, et un quatrième temps nous montre un match sur un ring. Les dispositions en cercle, les chemises qui tombent comme des gladiateurs prêts à en découdre, avant l’ultime conflit.
Dans la solitude des champs de coton est une pièce très riche avec très peu de moyens. La réflexion sur la dramaturgie vaut le détour : la pièce pose la question de la manière dont on porte un texte sur scène. Le travail sur la voix en hors champ et en jeux d’acteur amène deux dynamiques qui fonctionnent sur la parole et la densité des langages. Bien sûr que la danse est une réflexion sur le corps et son expression, mais une fois qu’on a dit ça, que se passe-t-il ? Et bien on va à la Villette voir Dans la solitude des champs de coton, où on assiste à un travail pointu sur le théâtre dansé. Entre le choix du krump, danse contestataire par excellence et la beauté des courbes classiques, le spectacle est un bel hommage à la pièce de 1985.
Bravo !
© Pascal Elliott
Danseurs Julien Derouault, Dexter (Pierre-Claver Belleka)
Textes Bernard-Marie Koltès
Chorégraphie et mise en scène Marie-Claude Pietragalla, Julien Derouault
Danseurs Abdel-Rahym Madi
Textes Julien Derouault
Du 23 octobre au 2 novembre 2025