« Conversation entre Jean ordinaires » : l’accueil de l’altérité comme nouvelle normalité

Porteurs d’un des prénoms français les plus communs, ces deux Jean-là sont pourtant des originaux. Jean-François Auguste, mi-gêné, mi-amusé, se tient droit sur la scène, complètement nu, sous les yeux neutres de Jean-Claude Pouliquen. Le premier est le metteur en scène du « pire cauchemar » du deuxième. Si la réflexion sur la normalité quand on est en situation de handicap a pu être creusée de manières variées, celle proposée par Laëtitia Ajanohun promet son lot de surprises.

C’est Jean-Claude Pouliquen, en situation de handicap mental, qui se lance en bégayant, mais avec ténacité dans une tirade grandiloquente digne des plus grandes œuvres du théâtre classique. C’est lui aussi, puisqu’il est également peintre, qui représente son collègue et lui-même dans des portraits très personnels. C’est Jean-François Auguste, un peu découragé, qui tente en vain de garder la main sur sa propre pièce.

Une folie maîtrisée

Parce que dans celle-ci, les règles du théâtre qu’on apprend à l’école sont quelque peu balayées. Le rire surgit non pas du rythme millimétré d’un sketch, mais d’une situation dans laquelle les interprètes paraissent complètement spontanés. En même temps, une certaine rigueur transpire de cette œuvre atypique. Les deux martèlent, certes parfois un peu maladroitement, mais toujours avec détermination, qu’être normal ça n’existe pas. Ni socialement, ni mentalement, ni biologiquement.

Les deux égrènent tous les jeux de mots possibles commençant par Jean. Ils jouent aussi aux devinettes sur les citations des plus illustres porteurs de ce prénom : de Jean-Baptiste Pocquelin ou Molière à Jean Cocteau. Jean-François Auguste s’étonne que, dans la tête de Jean-Claude Pouliquen, Dieu lui réponde. Les deux reviennent sur leur rencontre à l’atelier Catalyse, 18 ans auparavant. Madeleine Jouan y dirigeait des comédiens d’abord amateurs en situation de handicap mental. La troupe s’est par la suite professionnalisée. C’est le cas du comédien devenu professionnel, un déclic enclenché il y a trente ans quand il a intégré ce groupe. Jean-François Auguste lui a fait cours avec les autres élèves. Durant cette expérience, Jean-Claude Pouliquen n’osait pas le regarder en face, avant de prendre progressivement confiance en son prof et en lui.

Une œuvre personnelle sur le vécu avec un handicap

Par tous ces chemins de traverse qui paraissent loufoques et insensés, les deux artistes retracent le parcours d’un homme qui décide de faire ce qu’il veut. Comme il le dit lui-même, Jean-Claude Pouliquen est « né sur un plateau ».

La représentation que l’on voit sur scène, c’est aussi sa vie. Une existence faite d’hésitations, de comportements que d’autres ne comprennent pas forcément très bien voire du tout. « Je vous avais dit, parfois, il y aura des bugs », explique Jean-François Auguste avec légèreté alors que Jean-Claude Pouliquen tarde un peu à dire sa réplique. L’enjeu est aussi là, de redéfinir un théâtre plus libre, qui n’est pas obligé de suivre un déroulé toujours identique, respectueux d’une temporalité et d’un rythme couru d’avance, et donc plus ouvert.