Porgy and Bess (créée en 1935) de George Gershwin (1898-1937) a reçu un accueil mitigé (seulement 124 représentations en 1935) ; comme pour la Carmen de George Bizet, Porgy and Bess connaîtra un succès posthume. Portrait cru de l’Amérique des années 1920, l’opéra de Gershwin a été transcrit par Salvatore Caputo pour chœur, voix solistes et piano avec bon goût et se donne à l’Opéra de Bordeaux.
La programmation de trois représentations de ce Porgy and Bess Jazz Club, créé en juillet 2023, en ce début décembre est une bonne idée car c’est un public familial qui est venu nombreux à l’auditorium de l’Opéra de Bordeaux. Cette série de The Porgy and Bess Jazz Club a reçu un accueil enthousiaste de la part du public.
C’est Salvatore Caputo, le chef de chœur de l’Opéra de Bordeaux, qui a réalisé la transcription quasi parfaite de Porgy and Bess. Le piano et les percussions qui remplacent l’orchestre font un travail remarquable sous la direction avisée de Salvatore Caputo lui même. Le chœur, qui est au centre de cette transcription, réalise une performance exceptionnelle. Et l’on prend conscience de l’impressionnant travail réalisé par Salvatore Caputo dès 2023 en amont de la création de ce Porgy and Bess assez jazzy ; tant au niveau des recherches qu’au niveau de la partition originale, toujours très surveillée par les ayants droits du compositeur. Si l’on prend plaisir à écouter les principaux airs de l’oeuvre originale (Summertime étant, bien sûr le plus connu) on prend aussi un vrai plaisir à les voir évoluer et chanter « façon jazz » une musique intemporelle dont Gershwin avait le secret.
Ce passage de flambeau se fait quasi naturellement car aux États Unis d’Amérique, la ségrégation raciale a duré pendant plusieurs décennies ; et même encore de nos jours elle prend des formes plus insidieuses. Côté décors on passe des rues des taudis de Charleston – Caroline du sud, à un bar de jazz des années 1950. Et l’on retrouve cette vie grouillante, festive, désordonnée, la même quelque soit l’époque. Les costumes, tous issus de l’inépuisable réserve de l’Opéra de Bordeaux, vont comme des gants à l’ensemble des artistes présents sur le vaste plateau de l’auditorium de Bordeaux. La belle mise en espace de Emmanuelle Bastet et de Tim Northam, qui est aussi en charge des costumes, fait parfaitement ressortir la folie douce qui règne aussi bien dans les taudis de Charleston de 1920 que dans le bar jazzy de 1950 malgré la ségrégation et le règne de la drogue et de la prostitution.
la distribution réunie pour ces trois représentations est presque exclusivement noire, ainsi que le souhaitait Gershwin et ses frères. Le couple principal est incarné avec talent par le baryton Joé Bertilli et la soprano Cyrielle Ndjiki Nya. Les deux voix se marient avec aisance, s’élevant avec une insolence rare sous les voûtes de l’auditorium ; on apprécie aussi la diction parfaite de Bertilli et de Ndjiki Nya qui prennent un vrai plaisir à se fondre dans la peau de Porgy and Bess. Ce couple là on l’aime pour la sincérité des sentiments qui unissent le mendiant infirme et la prostituée. C’est Axelle Fanyo qui incarne la nounou Séréna (et aussi Clara) ; elle impressionne en interprétant de manière parfaite le célébrissime « Summertime » ; la large tessiture de la voix couvre sans efforts celle d’un aria difficile malgré les apparences. La très jeune Aviva Manenti étonne en campant une belle et charismatique Maria et nous lui souhaitant le meilleur pour les années à venir. Clément Godart (Jake), Jean Laurent Coëzy (Crown) et Mitesh Khatri (Sportin’Life / Mingo) complètent avec bonheur une distribution quasi parfaite. Nous saluons aussi les deux ou trois très belles interventions de Héloïse Derache et Jean-Pascal Introvigne issus des choeurs et qui méritent grandement la confiance qui leur a été accordée.
Salvatore Caputo ne s’est pas contenté de diriger depuis le premier rang de sièges de l’auditorium, de manière parfaite d’ailleurs, il a aussi continué à faire travailler le choeur de l’Opéra National de Bordeaux. Il nous avait déjà séduit en novembre dans Iolanta de Piotr Iilitch Tchaïkovski (1840-1893), mais dans cette version originale du chef d’oeuvre de Gershwin, il montre toute l’étendue de son talent. Vocalement la trentaine d’artistes du choeur fait montre d’un niveau très élevé suivant son chef avec une précision millimétrée, mais la mise en espace et les pas de danse lui permettent de se mettre en valeur avec un plaisir gourmand.
Jusqu’à présent nous avions vu les distributions et le chœur accompagnés par l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine. Pour The Porgy and Bess Jazz Club ce sont un pianiste, Martin Tembremande, et un percussionniste, Alexis Duffaure, qui ont accompagné l’ensemble des artistes présents sur la scène de l’auditorium. Et les deux hommes ont accompli une performance exceptionnelle ; cette version de Porgy and Bess dure une heure quinze environ et nous avons avons eu tout le loisir d’apprécier l’interprétation exceptionnelle de Martin Tembremande qui s’est visiblement pris au jeu en prenant à son compte la musique de Gershwin à laquelle il a fait honneur avec panache. Et Alexis Duffaure n’est pas en reste en accentuant les accents jazzy que Salvatore Caputo a intégré dans la partition de Gershwin qui n’aurait certainement pas renié une telle partition servie par des artistes talentueux.
C’est une très belle soirée à laquelle nous avons assisté en ce samedi soir. Et on en regretterait presque que cette version jazzy de Porgy and Bess en dure pas plus longtemps tant nous avons apprécié à voir des artistes qui chantaient Gershiwn avec un réel plaisir.
(c) Eric Bouloumie