L’opérette de Maurice Yvain fut créée en 1924 pour se moquer de ces « nouveaux riches » à la Belle Époque. Un siècle après, ce 8 mars, l’Athénée Louis-Jouvet reprend, pour dix séances, cette œuvre ludique et légère au rythme endiablé, avec la belle équipe des « Frivolités parisiennes ». Bonne humeur garantie.
« Il faut entre le musicien et le librettiste une parfaite entente, disait Tristan Bernard dans une critique enthousiaste à l’époque de la création de l’œuvre, et il faut savoir à quel moment, l’un des deux doit obéir à l’autre ». Et d’ajouter « comme la musique soutient la fantaisie et la justifie ! Il nous est arrivé d’être effrayé par les drôleries sans écho que nous demandions aux acteurs d’exécuter ». S’il avait pu assister à la Première hier soir à l’Athénée, Tristan Bernard aurait été comblé par les rires qui fusaient de la salle, la bonne humeur du public émoustillé par l’efficacité de la représentation.
Opérette, théâtre musical, fantaisie chantée et dansée, l’œuvre de Henri Falk et Jacques Bousquet pour le livret, Maurice Yvain pour la musique, oscille entre les genres, difficile à classer, sauf pour affirmer son caractère de divertissement pur très à la mode à l’époque de sa création au Théâtre Daunou pour 37 représentations, avec reprise aux Bouffes du Nord et dans d’autres théâtres périphériques pour 79 soirées en tout.
Un certain Louis Blanche incarnait alors Monsieur Mézaize. Le père de Francis Blanche fut surtout acteur de théâtre et de cinéma, mais, capable tout autant de jouer la comédie que de pousser la chansonnette, il se fit remarquer dans ce « Gosse de riche ».
Sans atteindre le succès de « Ta Bouche » (582 soirées ! ) ou de « Là-haut » (260 jours), « Gosse de riche » devint quand même l’une des références de la comédie musicale de qualité. Les Frivolités Parisiennes avaient également proposé « Là-haut » il y a exactement un an à l’Athénée-Louis-Jouvet, offrant une intéressante continuité de ces œuvres d’Yvain parfois un peu oubliées.
La trame est légère et classique : une histoire de vaudeville où s’entremêlent les situations tarabiscotées, les amours croisées, les tromperies, mensonges et cocasserie, le tout dans une ambiance bon enfant et drôle. La comédie musicale est prétexte pour moquer le snobisme des riches des années 20 et surtout leur hypocrisie, sans oublier de faire finalement triompher l’amour, celui des jeunes gens, l’artiste peintre et la « gosse de riche ». Les dialogues sont incisifs malgré le caractère ténu de l’intrigue et les airs enlevés, musicalement variés, passant du Fox-trot à la valse, de la bourrée bretonne aux langueurs romantiques de la séduction, passant en revue les danses à la mode de l’époque comme le one-step, la java (avec le formidable « invite à la java » ), le tango, le shimmy, le tout dans un ensemble très bien interprété. On rit beaucoup à de nombreuses situations et aux traits d’humour régulièrement distribués.
Les Frivolités parisiennes se sont fait une spécialité de ces œuvres légères, donnant déjà brillamment l’an dernier « coup de roulis » d’André Messager ou « O mon bel Inconnu » de Reynaldo Hahn.
Nous sommes dans l’atmosphère musicale de l’entre-deux-guerres à Paris, celle où les Maurice Chevalier et Mistinguett, se rendent célèbres au travers de véritables chansons, à boire et à danser, coquines ou romantiques, qui ponctuent ces œuvres.
Ce n’est pas Offenbach, ce n’est pas l’opérette viennoise, c’est un genre musicalement infiniment moins complexe, avec une instrumentation variable selon la taille des salles d’ailleurs, et nombreux dialogues parlés (croustillants) qui se terminent par ces fameuses chansons, en soliste, à deux, trois ou plus où chaque artiste a son heure de gloire.
La mise en scène de Pascal Neyron (Là-haut), a le mérite de la simplicité sur une scène assez exiguë et si la première partie manque un peu de direction d’acteurs, dès l’arrivée en Bretagne, à l’acte 2 et durant l’acte 3, les chassés-croisés sont représentés de façon inventive et animée, les costumes imaginés par Sabine Schemmler viennent renforcer l’aspect comique et et les lumières de Camille Duchemin donnent une atmosphère entre le cabaret et le petit théâtre tout à fait adéquate.
L’orchestre des Frivolités, rompu à ce style musical extrêmement varié, répond à toutes les sollicitations avec brio et entrain. La formation musicale a fait le choix de revenir à la version initiale pour petit orchestre donnant une ligne directrice authentique pour les reprises actuelles de ces comédies musicales qui ont été par la suite accompagnées d’orchestres symphoniques plus ou moins importants en fonction des possibilités des théâtres accueillants (taille de la fosse, disponibilité des musiciens).
Voix fraiche et sensualité juvénile affirmée, la jeune Colette de la soprano Amélie Tatti est éblouissante de vérité dans son rôle de jeune fille moderne et décidée, indépendante et amoureuse, c’est l’un des rares personnages sincères de la pièce.
La plus drôle et la plus déjantée est incontestablement la baronne un peu foldingue mais aux pieds sur terre de Marie Lenormand, gouaille et vulgarité distinguée, un mélange typé qui lui va à ravir.
Dans le rôle de l’artiste, le baryton Aurélien Gasse est lui aussi toujours « juste » réussissant dans le style léger requis, à exprimer les différentes personnalités contradictoires du peintre, prêt à vendre n’importe quoi aux riches, amoureux de Colette mais trouvant difficile la séparation d’avec sa maitresse Nane, il se résume brillamment par l’amusante chanson « je me fais toujours avoir par les mamours ». Celle où il explique qu’il commande du caviar, qu’il n’aime pas, au restaurant pour faire plaisir au serveur.
Le baryton Philippe Brocard, qui campe un Achille très ridicule et très bien caricaturé, a la voix la plus puissante du plateau ce qui lui confère finalement une autorité pourtant mise à mal par le déroulé de l’histoire.
La vis comica du faux mari volontaire de Charles Mesrine est parfaite pour le rôle, avec ses roucoulements sifflés des murmures de la forêt et sa capacité à mettre les pieds dans le plat avec sincérité dans une situation particulièrement incongrue.
La Suzanne Patarin de Lara Neumann a son heure de gloire avec la gavotte bretonne, exécutée de « pied » de maitre devant le rideau avant la dernière partie, entrainant les spectateurs à scander le rythme de la danse.
La Nane de la soprano Julie Mossay a ce grain de folie qui sied à la maitresse de deux hommes et à la fausse femme du troisième. On s’y perd puis on s’y retrouve !
Si les voix manquent parfois un peu de projection, voire si la diction n’est pas toujours parfaite, notamment du fait du tempo très rapide des airs, dans l’ensemble, ces artistes font de belles démonstrations collectives de l’art de « jouer » sur scène. Ils chantent, ils donnent la réplique mais ils suivent aussi à plusieurs reprises des chorégraphies bien rythmées. Les ensembles sont d’ailleurs musicalement et vocalement les parties les plus réussies de l’opérette.
Le public est à plusieurs reprises sollicité. Il répond dans l’enthousiasme, retrouvant un peu de l’osmose entre la scène et le public qui fait le vrai théâtre populaire. Il se prête notamment à la répétition du refrain « c’est la combine » dans l’air de la baronne. Le canon est impeccable sur « quand on est chic » et les allusions sexuelles de « On biaise » savoureuses.
Exécution parfaite, jeunesse de la troupe et du public, saluts chaleureux pour l’oeuvre re-découverte et sa modernité un peu surannée (ce qui en rajoute au délice), nous ne pouvons que souscrire aux choix de ce théâtre parisien qui multiplie les genres avec bonheur.