La comédie musicale (comique) de Stephen Sondheim, inspirée par Plaute, se joue en ce moment pour la première fois au Lido 2 Paris, et ce jusqu’au 4 février 2024.
Créée en 1962 d’après Plaute, A Funny Thing Happened on the Way to the Forum débarque à Paris pour la réouverture du Lido.
Voici l’histoire : l’esclave rusé Pseudolus, prêt à tout pour s’affranchir, aide Hero, le fils de son maître, à conquérir Philia, une courtisane promise à un capitaine arrogant et infâme. Prenant Senex (le père de Hero) pour ce dernier, elle fait mine de se donner à lui…
Cette comédie est un véritable vaudeville musical, soutenu tantôt par des jeux de mots savoureux, parfois adaptés à la culture française contemporaine, tantôt par des courses-poursuites endiablées parfaitement chorégraphiées (et permises par les trois grandes maisons tournantes qui composent la scénographie), tantôt par des ressorts comiques un peu plus datés, il est vrai, que certains ont pu trouver franchement dépassés pour l’époque, voire problématiques. D’ailleurs, l’esclave Pseudolus, incarné par Rufus Hound, nous conseille en préambule d’oublier notre sensibilité moderne en se rappelant qu’il s’agit d’une pièce écrite en 1962 par des Américains d’après un poète comique romain. Oui, le public ne voit plus de la même manière le défilé des courtisanes (contenant un impressionnant numéro de contorsion par Senayt) ou la chanson sur le bonheur d’avoir une soubrette à la maison. Faut-il pour autant souhaiter que Stephen Sondheim eût réécrit sa pièce ? Il est assez clair que le défilé en question n’est qu’un prétexte pour montrer les talents des danseuses de l’ensemble et la chanson à prendre au second degré pour ce qu’elle est, c’est-à-dire le fantasme d’un vieillard libidineux un peu ridicule. On a du mal à voir ce qu’il y a de problématique là-dedans…
Dès les premières notes de l’ouverture, on comprend qu’on va avoir la joie de voir Broadway à Paris. A l’époque, c’était la partition qui avait moins convaincu ; pourtant, quelle richesse mélodique ! Les chansons sont bien servies avec une telle distribution : Valérie Gabail et sa puissance incroyable, Neïma Naouri, qui décidément poursuit un chemin plus que prometteur, Josh Saint-Clair qui, comme elle, est désopilant en vierge stupide et possède un timbre de voix ravissant… Rufus Hound est à saluer, lui qui a dû remplacer au débotté Richard Kind pour le rôle de Pseudolus, ce dernier ayant dû quitter la production deux semaines avant la première. Le rôle qu’il devait prendre, celui de l’esclave Hysterium, est tenu par le génial Andrew Pepper, absolument convaincant en stressé malchanceux.
Une surprise féérique advient au milieu du IIe acte, parfaitement adaptée au Lido. D’ailleurs, le lieu est génialement exploité, et quel que soit l’endroit de la salle, la vue sur la scène semble parfaite. Cette proximité des artistes et du public est renforcée par la participation hilarante de quelques victimes qui n’auraient pas dû s’assoir au premier rang (ou bien si ?) et des eunuques qui se mettent à courir parmi nous en piaillant, pour retrouver Philia.
N’ayez donc pas peur du décalage temporel et n’hésitez pas à aller voir cette folie musicale qui vous laissera joyeux et chantant : l’évolution des mœurs qu’on peut constater face à ce spectacle de 1962 n’est un obstacle à l’appréciation que pour ceux qui confondent sensiblerie et sensibilité. D’autant que Stephen Sondheim joue habilement avec les normes de genre de ses personnages : le procès en anti-modernité semble hors de propos…
Musique et paroles : Stephen Sondheim
Livret : Burt Shevelove et Larry Gelbart
Metteur en scène : Cal McCrystal
Scénographie : Tim Hatley
Directeur musical/arrangements : Gareth Valentine
Chorégraphe : Carrie-Anne Ingrouille
Orchestrations supplémentaires : Larry Blank
Visuel : affiche officielle du spectacle