Programmés dans le cadre de la BIAC à la Friche la Belle de Mai les 10 et 11 janvier 2025, les artistes circassien·nes du Circus Baobab, mis·es en piste par Yann Ecauvre, proposaient Yongoyély, un spectacle dont le titre (« l’exciseuse » en langue soussou) annonce le thème. Moins politique que spectaculaire au final, c’est un spectacle très physique, à haute énergie.
D’emblée le public est plongé dans les rues de Conakry, la capitale de la Guinée : à son entrée, les bruits de la rue sont diffusés en son spatialisé, klaxons et moteurs, brouhaha des voix et des activités humaines, comme pour signaler la contemporanéité du propos, l’actualité de son sujet, l’ancrage du sujet dans la réalité urbaine telle que vécue par les interprètes. Les 6 femmes et les 3 hommes qui sont sur piste sont tous·tes guinéen·nes, conformément au projet du Circus Baobab, qui se veut un cirque social, solidaire et citoyen. Iels sont enfant·es de leur époque, de leur société, iels témoignent de leur vécu comme membres d’un espace où l’excision est une pratique réelle et encore prégnante.
C’est ainsi que Yongoyély se présente sur le papier comme une prise de position frontale – on pourrait même dire courageuse – sur un sujet brûlant, celui des mutilations génitales féminines. Pour compléter et expliciter les métaphores utilisées sur scène, le spectacle accueille à plusieurs moments des témoignages enregistrés, des voix de femmes mais également d’hommes qui expriment leur position sur le sujet. Cette dimension documentaire, un peu en surplomb par rapport au jeu scénique, émeut un peu, mais surtout interroge : on ne sait pas qui parle, ni de quel point de vue ou en quelle qualité. Surtout, le mot-clé n’est jamais prononcé, et on a le sentiment qu’il y a une sorte de pudeur de la dernière minute, une façon d’aborder son sujet de manière élusive pour ne pas, finalement, laisser le fond prendre le pas sur la forme, la prise de parole politique troubler la fête. Courageux, alors, mais pas tout à fait abouti.
Quid de la forme, alors ? On doit reconnaître un indéniable talent au Circus Baobab pour dénicher de jeunes personnes pleines de potentiel, et les amener à un grand niveau de technicité circassienne. Leurs prouesses acrobatiques sont d’un calibre impressionnant. Les agrès mis en oeuvre sont d’une grande sobriété : quelques parpaings pour des équilibres, des grumes de plusieurs mètres servant de mâts, un fouet, le spectacle n’a pas besoin de grand-chose d’autre en réalité que les 9 circassien·nes et leur présence corporelle. L’effet principal de Yongoyély tient à son rythme soutenu et à l’énergie impressionnante de ses interprètes. Parmi iels, les circassiennes sont particulièrement mises à l’honneur : elles ont la part belle de l’exposition en scène, les hommes ne servant au final que de faire-valoir, malgré leurs indéniables qualités techniques – tant mieux, c’est un changement bienvenu par rapport au spectacle précédent de la compagnie. Aucun rôle ne leur est refusé, surtout pas les premiers – mais cela veut aussi dire qu’elles prennent une belle part du rôle de porteuses.
L’énergie en scène se déploie particulièrement dans les danses et les chants, où se mêlent tradition et modernité urbaine. De ce point de vue, comme du point de vue acrobatique, le spectacle se révèle être d’une grande générosité. Aux costumes bariolés du début du spectacle, en mode streetwear radicalement flashy, succèdent des costumes de scène plus symboliques, jusqu’à pousser au caricatural, femmes vêtues de rouge et hommes grimés dans des déguisements de squelettes un peu cheap. Yongoyély propose quelques images belles et fortes. L’utilisation du fouet par les artistes féminines exclusivement, très impressionnant, des scènes de groupe joliment orchestrées montrant une belle cohésion entre les interprètes, quelques acrobaties aériennes particulièrement spectaculaires restent en tête. Yongoyély est, au bilan, à l’image de sa chute : intense, joyeux, entraînant voire séduisant… en décalage surprenant avec son sujet. Tant mieux ? C’est en tous cas un parti-pris intéressant pour traiter d’un sujet qui aurait pu donner lieu à un traitement empreint de pathos.