Du 24 au 26 octobre, le festival Circa à Auch programme le spectacle V de Viivi Roiha. Un spectacle qui déconstruit magistralement la pratique de la corde lisse et montre la maturité d’écriture de l’artiste.
Avec V, Viivi Roiha présente une proposition d’une maturité surprenante, radicale dans la forme autant que dans le fond. C’est un spectacle exigeant, qui ose mettre le public dans un relatif inconfort, et qui révèle une vraie écriture, à la fois circassienne, sonore et visuelle. À l’image de sa première scène, qui tient de la performance, qui s’étire sur toute la durée de l’entrée public et pendant laquelle la circassienne découpe millimètre par millimètre le geste de donner un coup de hache à son agrès, la corde lisse, pour la raccourcir.
Le matériau de base à la source de ce solo – qui n’en est pas tout à fait un du fait de la présence à cour et à jardin de la régisseuse et du musicien – est donc l’expérience même de la pratique de son agrès par l’artiste. Viivi Roiha explore à la fois ce que la pratique de la corde lisse en général renvoie au public et signifie pour elle, et plus particulièrement ce que son choix de raccourcir son agrès a modifié dans sa relation à son instrument et dans les possibilités qu’il lui offre. V est donc un spectacle de cirque qui dissèque la pratique du cirque… Mais, pour autant, il touche à tellement d’éléments auxquels les spectateurices vont être confronté·es pendant les 50 minutes de la représentation que l’expérience peut captiver largement au-delà du cercle des habitué·es.
En ressort une proposition très intérieure, un cirque des états mentaux et émotionnels qui chemine par des étapes brutes, puissantes, parfois inquiétantes, comme ne peut manquer de l’être un voyage authentique et sans filtre dans la psyché d’un·e être humain·e. En donnant à voir les doutes, le conflit intérieur, la souffrance, l’exaltation, la jouissance, l’apaisement enfin, Viivi Roiha propose à la fois une expérience qui est susceptible de toucher universellement, et une dramaturgie du sentiment, non narrative, faite de la succession rapide d’états extrêmes traduits par le corps et par l’image.
C’est potentiellement inconfortable pour le public, et c’est là que la proposition est audacieuse, et stimulante. D’abord parce que cette dernière peut être déconcertante, du fait de l’absence de récit, et du trouble que l’on peut ressentir face à une auto-fiction qui mélange réalité vécue, fiction et symbolisme. Ensuite parce que l’artiste se donne la liberté de pousser son exploration très loin, et va jusqu’à mettre en scène de façon très explicite Eros et Thanatos, ces deux pôles extrêmes auxquels sa pratique la confronte et qui traversent également son public. Elle joue à rendre explicite l’implicite, et à interroger les ressorts de la fascination qui peut naître lors de ses spectacles. D’ailleurs, et enfin, elle se confronte, et nous confronte en même temps, au risque de sa chute mortelle en inscrivant une partie de ses figures sur une corde courte suspendue à dix mètres du sol, sans s’assurer de la moindre sécurité, renforçant ainsi de beaucoup la sensation de vertige procurée par cet agrès aérien.
La mise en scène vient intelligemment compléter cette écriture complexe. La lumière alterne entre un éclairage large, qui révèle clairement la cage de scène nue, dans une sorte de révélation brechtienne, et des découpes beaucoup plus serrées sur la personne de Viiv Roiha et sur son agrès, pour des passages plus immersifs. De façon quasi permanente, un accompagnement musical et sonore vient sous-tendre la proposition avec des tonalités plutôt inquiétantes, morceaux de texte dits en voix off puis repris en boucle et distordus, sons retravaillés en direct et rendus méconnaissables par le génial bidouilleur Mika Pusse, dont l’univers noir se marie parfaitement avec la recherche de Viivi Roiha.
V est une œuvre radicale, et comme toutes les œuvres radicales, elle peut déconcerter, voire déplaire si on ne s’ouvre pas tout·e grand·e à la proposition, dans un état d’acceptation qui permette de la recevoir. On ose cependant affirmer qu’il s’agit d’une œuvre très aboutie, qui mérite pleinement sa place dans un festival programmant des formes expérimentales qui renouvellent les procédés du cirque contemporain.
Visuel : © Cosmin Cirstea