Juan Ignacio Tula (compagnie 7BIS) présente ces jours-ci (nous l’avons vu au Théâtre 71 Malakoff dans le cadre du festival OVNI) son nouveau spectacle, Sortir par la porte une tentative d’évasion, mis en scène par Mara Bijeljac sur un texte d’Hakim Bah. Sa pratique détournée de la roue Cyr se confronte et s’enrichit d’un texte poétique, intime, dans une forme qui erre quelque part entre cirque, théâtre et performance.
Sous l’oeil et sous le patronage de Gauchito Gil, présenté à jardin sur son petit autel entouré de bougies et relevé d’une guirlande de LED, l’argentin Juan Ignacio Tula se présente à son public avec une sincérité qui n’est sans doute pas feinte même si elle est soigneusement mise en scène. L’artiste, qui accueille les spectateur·ices à mesure qu’iels entrent dans la salle, se livre à un exercice d’introspection en direct au travers de cette autofiction qui est suffisamment distanciée – notamment du fait que l’écriture du texte a été confié à un auteur, Hakim Bah, et que la dramaturgie a été confiée à Mara Bijeljac – pour ne pas virer à l’obscène ou devenir une mise en scène de soi complaisante. Tout part d’une expérience de vie marquante, un séjour en cure de désintoxication, et de la réalisation que le choix de l’agrès dont le circassien est devenu un spécialiste est probablement puissamment influencé par ce vécu.
La roue Cyr, telle que Juan Ignacio Tula la pratique, est en effet une épreuve physique. En la mettant en rotation autour de lui à la manière d’un hula hoop, et en maintenant son mouvement à la force de ses muscles, l’artiste s’engage dans un corps à corps intense avec son instrument, transformant sa pratique en une épreuve de force et surtout d’endurance qui confine à la performance dans ce qu’elle a d’épuisant. Le corps du circassien est confronté au poids de la roue et à la force centrifuge, qui a chaque moment peuvent l’entraîner ou lui échapper. En même temps, la répétition du mouvement produit un effet hypnotique, par moment presque au point de devenir une illusion d’optique pour qui le regarde. Et pourtant des figures surprenantes sont possibles, qui permettent de créer l’impression que la roue ne pèse plus rien, et qu’elle lévite presque autour de la tête du circassien.
Enfermement, épuisement, caractère répétitif jusqu’à provoquer une quasi transe, impossibilité de sortir du cercle sans que tout tombe : on comprend bien comment cette façon d’aborder la roue Cyr se prête bien à métaphoriser la confrontation au centre de désintoxication. En même temps, ce vocabulaire de mouvements et d’états de corps est déjà connu, puisque Juan Ignacio Tula l’a déjà présenté avant Sortir par la porte une tentative d’évasion, et qu’il est difficile de l’enrichir beaucoup, les possibilités de la roue Cyr n’étant pas infinies. Pour déployer le sensible au-delà de cette équation et enrichir la proposition, deux choix plutôt malis ont été faits : d’une part de faire une part non négligeable au texte, en partie déclamé en direct au moyen d’un micro casque porté par l’artiste, et d’autre part d’intégrer la vidéo comme composante très forte de la proposition.
Aussi le fond de la scène est-il occupé par un grand écran blanc, sur lequel des images peuvent être projetées. Il s’agit en majorité d’un film chapitré en trois phases, A, B et C, comme les phases d’un processus de désintoxication, comme le rythme ternaire des contes et du folklore qui prévaut depuis la nuit des temps. Se mélangent images d’archive familiale, vues prises en Argentine – images somptueuses du désert, mais aussi course hallucinée lancé dans les rues de Buenos Aires – et vues du spectacle… à hauteur de roue Cyr. Claire Willemann et Yann Philippe, les vidéastes, ont en effet pris des vues en fixant une caméra sur le pourtour de l’objet, et ces scènes donnent à ressentir de façon presque synesthésique quelles forces sont à l’oeuvre, et à l’équilibre, dans cet exercice de force et d’adresse auquel se livre l’artiste. Et la confrontation de l’image enregistrée à la réalité du plateau crée un trouble dans la tension fiction – réel qui crée quelque chose comme une distanciation brechtienne face à une autofiction dont on ne sait à quel point elle est, justement, fictionnalisée.
Sortir par la porte une tentative d’évasion apparaît comme un spectacle sensible et fragile alors même qu’il repose sur un tour de force. C’est une exploration intérieure rendue visible, un bel exemple de la façon dont une partie du cirque contemporain s’est employé, ces dernières années, à montrer que cette esthétique est un outil parfaitement adapté à une écriture de l’expérience intime.
Visuel ©Danica Bijeljac