« Sono io ? » : au nom du père, du fils et de la poésie

Clown sensible sur un air de concertina

Le clown n’impose pas nécessairement le decorum auquel le réduit l’image généralement admise : nez rouge, peinture blanche sur le visage, perruque, chaussures démesurées et habits bariolés ne sont pas nécessaires à cet art, non plus que les gros gags attendus. Le clown peut au contraire être intimiste et délicat, se loger à un endroit très sensible de l’individu qui le porte, donner accès à tout ce que le personnage recèle de fragile humanité. C’est ce que propose ce Sono io ? où Danny et Pepijn explorent avec beaucoup de tendresse la relation père-fils, dans tout ce qu’elle a de merveilleux, mais également dans ce qu’elle dit du passage inexorable du temps, de la peur d’être remplacé, de l’impression d’être dépassé alors même qu’on n’arrive pas à quitter sa posture de sachant.

C’est néanmoins un spectacle très drôle, qui joue beaucoup plus sur le comique de situation ou de psychologie que sur le comique physique, même si ce dernier est loin d’être absent. Le père comme le fils ne rechignent pas à se mettre en risque et à tenter quelques acrobaties, surtout le second qui finit par exécuter un joli numéro de sangles d’abord suspendu au-dessus d’une baignoire, puis accroché au faîte du chapiteau. Il y a des équilibres osés, également, qui permettent notamment aux deux générations de Ronaldo de chevaucher ensemble un piano droit précairement posé sur un cylindre. Et, parce que ces deux artistes de talent sont de vrais couteaux suisses, tout cela se fait au rythme des notes qu’ils tirent d’une myriade d’instruments : piano donc, mais également concertina, contrebasse, et plus d’instruments à vent qu’on n’en peut compter.

Le fils et le père, le doux et l’amer

L’intérêt du spectacle réside principalement dans ces deux personnages qui s’aiment avec une touchante maladresse. Le vieux père particulièrement porte cet élément de pathos, lui qui commence le spectacle dans son bain où il lave opportunément ses slips et ses chaussettes, tout en écoutant – et en nous faisant écouter – des enregistrements de ses spectacles passés. Il suffit d’un rien pour suggérer à la fois l’affection qui lie les deux personnages et la distance qui les sépare – une main passée dans la tignasse du fils tandis que le père indique du doigt son crâne en train de se dégarnir parlent autant que la confrontation de la bande magnétique et de la clé USB. Pour autant, le vieux roublard n’est pas un personnage pathétique, même s’il est bien nu sous sa robe de chambre : son expérience vient à bout de beaucoup de situations délicates.

L’interprétation et le jeu sont tout en finesse. Même quand le spectacle se fait un peu répétitif, creusant jusqu’à l’absurde la veine de la surenchère entre père et fils qui essaient de se prouver leur supériorité technique, c’est la qualité de présence des deux Ronaldo qui continue de tenir le public, une façon mi-humble mi-cabotine de se mettre en jeu dans ce spectacle où le quatrième mur n’existe à aucun moment. Ce spectacle drôle, avec ses tonalités douces-amères, s’est attiré un public nombreux, convaincu par le bouche-à-oreille, et les tonnerres d’applaudissements qui ont clos les représentations indiquent que celle·eux qui ont fait le choix d’assister à l’une des représentations ont globalement goûté ce moment de rire poétique.

GENERIQUE

Conception, mise en scène et interprétation : Danny Ronaldo et Pepijn Ronaldo.
Régie technique : Flor Huybens.
Direction administrative : Lesley Verbeeck.
Diffusion : Frans Brood Productions.