La violoncelliste Noemi Boutin et le jongleur Jörg Müller reprennent, au Monfort, Sarabande, un très bel objet spectaculaire – et spectral – non identifié, créé en août 2014 au festival Les Nuits d’Été en Savoie.
Un plateau tout en clair-obscur. Au centre, la musicienne Noemi Boutin, revêtue d’une sobre robe noire et éclairée d’une légère douche lumineuse. Un peu à sa droite, le jongleur Jörg Müller, qui tente avec un succès mitigé de craquer une allumette. Enfin, il en allume une longue perche verticale, seconde source de lumière de cette scène plongée dans les ténèbres.
L’obscurité, pour autant, n’est ici pas une absence. Bien au contraire : elle met en évidence le bois du violoncelle et la bougie de cette perche aux fausses allures de servante de théâtre. Elle rend l’écoute plus attentive et dessille les yeux du public.
Cette attention des spectateurs et spectatrices, tout entier·es tendu·es vers ces quelques points lumineux, tient beaucoup à l’élégance avec laquelle chacun·e des partenaires sert l’autre : dans la première partie du spectacle, le violoncelle de Noemi Boutin se tait quand la servante de Jörg Müller bouge et la servante reste immobile quand l’archet caresse l’instrument.
Bientôt, toutefois, les Suites pour violoncelle de Bach se font accompagnement. Les oreilles se tendent vers le jardin, où se trouve désormais la musicienne, et les yeux se focalisent vers le centre du plateau, où Jörg Müller jongle avec des tubes aux faux airs de tuyaux d’orgue. Si l’attention en est quelque peu dispersée, ce travail visuel sur l’instrument par excellence de la musique religieuse convoque tout un imaginaire.
La manipulation de Jörg Müller se fait en douceur. Jamais il ne fait de l’ombre aux objets avec lesquels il jongle, qu’il s’agisse de ces tubes aux reflets cuivrés ou de la perche lumineuse de tout à l’heure. Alors le public rive ses yeux à ces objets insolites, dotés d’une fonction nouvelle.
Le jongleur souffle dans un tuyau, en entrechoque d’autres… Les outils de son jonglage deviennent à leur tour instruments de musique, tandis que l’attention visuelle est à nouveau concentrée sur l’archet de Noemi Boutin. Ce jeu avec les sens et les objets a lieu avec une grande simplicité qui fait retenir son souffle à la salle. Laquelle aura passé un moment rare, d’une grande épaisseur sensorielle.
Sarabande, au Théâtre Silvia Monfort, jusqu’au 12 avril. Avec Avec Noémi Boutin, violoncelliste, et Jörg Müller, jongleur ; création lumière et régie Hervé Frichet (en alternance avec Kamille Fau).
Visuel : © Emmanuel Burriel