Les 12 et 13 juin, circusnext, le label européen de cirque de création, présente les Révélations circunext 2025, c’est-à-dire les 4 lauréat·es de sa Sélection 2025 au Théâtre de la Cité internationale à Paris.
La cuvée 2025 des Révélations circusnext se révèle être de haute tenue, avec des propositions qualitatives, qui confirment que les auteurices de cirque contemporain ont, décidément, un fort attachement à l’objet et à la matière, au-delà de l’agrès. Il s’agit de projets qui n’ont pas encore été complètement achevés, et les remarques et analyses qui suivent ne reflètent pas nécessairement le spectacle fini.
Metaphoric Objects de David Martin (c) Christophe Raynaud de Lage
La première proposition de la soirée est très ludique, joliment désinvolte, avec une petite dose de folie et surtout d’auto-dérision. Des trois interprètes en scène, un surtout, David Martin, le porteur du projet, prend la lumière. Il explore son propre jonglage, et le jonglage contemporain, avec distance et ironie. Parfois, cela donne des scènes bricolées, dignes d’un spectacle de fin d’année dans une école élémentaire, mais il y a une certaine poésie à créer des effets spectaculaires avec des moyens pauvres. Parfois, on est dans la vanne pointue, comme quand David Martin s’attache une massue à la main avec du gaffer pour illustrer le jonglage sans lâcher l’objet – et la chorégraphie de gestes qu’il déploie alors est tout sauf ridicule.
Il y a une fusée qui décolle, un chapiteau de cirque qui danse tout seul sur un air d’opéra de Bizet, beaucoup d’instruments de musique, des confettis, des cymbales. C’est drôle et léger. Un beau travail est fait sur la physicalité du jonglage, notamment sur le son de la rattrape. En somme, une proposition agréable à regarder.
CE(UX) QUI RESTE(NT) de la Cie Inélucable (c) Christophe Raynaud de Lage.jpg
Autant la première proposition joue-t-elle beaucoup avec les objets, et c’est chose usuelle chez les jongleurs, autant CE(UX) QUI RESTE(NT) s’empoigne franchement avec la marionnette. Il s’agit d’acrobatie au sol, où l’agrès n’est, d’ordinaire, que le sol lui-même, éventuellement le corps du⸱de la partenaire. Peut-être Marius Fouilland et Aimé Rauzier en ont-ils conçu quelque frustration ? Alors, ils se dédoublent, et se présentent, portant chacun une marionnette de lui-même, pour amener quatre présences sur scène et quatre corporalités qu’ils jouent à rendre aussi indistinguables que possible au plateau. La scène d’exposition, en lumière très tamisée, qui permet à peine de deviner le contour les corps, est très belle. Le spectacle joue beaucoup sur la confusion du regard, dans un jeu de “qui est qui ?” qui devient à la longue assez fascinant. Soit les membres s’emmêlent ; soit les corps se jettent ou sont jetés. En tout cas, il y a toujours quelque chose à regarder.
C’est impressionnant, et en même temps très puissant émotionnellement, car les deux artistes ont bien compris tout ce qu’ils pouvaient tirer de la juxtaposition corps vivant/corps inerte, et des métaphores que l’on peut tirer de ce genre de situations. Il y a donc quelque chose de hanté au spectacle, pas nécessairement quelque chose de triste mais certainement quelque chose qui parle de finitude et de poids des souvenirs. Aux spécialistes de marionnette, plein de références viendront – Claire Heggen ou Carine Gualdaroni, par exemple, sur le travail du double, Tibo Gebert pour l’ambiance trouble. En cirque, c’est un travail plus rare, même s’il n’est pas totalement inédit – Bouratina de la cie H+H vient le premier à l’esprit. C’est un début très encourageant, et on a hâte de voir le spectacle fini.
In Difference de Jef Everaert & Marica Marinoni (c) Christophe Raynaud de Lage.jpg
C’est sans nul doute le plus abouti des quatre projets présentés, et il a déjà beaucoup roulé sa bosse en France de sortie de résidence en “plateau pros”. In Difference est une belle, très belle proposition de roue Cyr travaillée en duo, avec deux artistes bourré⸱es de talent, à la fois fin⸱es technicien⸱nes et bon⸱nes comédien⸱nes physique, Marica Marinoni et Jef Everaert. Quasiment sans prononcer une parole, iels déploient une palette de nuances dans leur relation fondée sur le jeu et la coopération, autour de plusieurs roues Cyr dont, à priori, une seule est en jeu à la fois, ce qui les oblige à trouver des façons de la partagée, tantôt étroitement embrassé⸱es dans le même mouvement, tantôt au contraire distant⸱es, lancé⸱es dans des jeux du chat et de la souris qui donnent lieu à un ballet d’esquives.
Leur travail commun sur leur agrès, qu’iels ont une manière très différente de pratiquer individuellement, donne lieu à de jolies trouvailles. Iels n’hésitent pas d’ailleurs à lui laisser la chute du spectacle, en faisant de la roue un objet d’une beauté qu’on n’aurait pas soupçonnée. Pour arriver jusque-là, iels auront multiplié les figures hautement techniques et des phases de pure endurance, entrecoupées de jolis moments de calme où iels se retrouvent. Leur qualité d’écoute mutuelle, leur connexion par le regard, sont un véritable baume pour le cœur. Cette alliance dans la différence de deux circassien⸱nes aux physiques et aux pratiques clairement distinctes mais finalement complémentaire est une belle ode à la complicité – peut-être d’autant plus belle qu’il s’agit d’une complicité étroite entre deux personnes d’apparence de genre opposée, qui est, pour une fois, présentée sans sexualiser ou romantiser la relation. C’est beau, c’est spectaculaire, c’est captivant – c’est une réussite.
GHETTO de la Cie Dissociée (c) Christophe Raynaud de Lage.jpg
GHETTO part d’une volonté qui n’est pas sans mérites, et pas sans intérêt : introduire sur les scènes conventionnelles une forme d’art mal aimée et habituellement reléguée à la marge, le fakirisme. C’est l’occasion d’ériger une matière plutôt inhabituelle en partenaire de jeu, peut-être même en agrès – malgré la présence aussi sur scène d’un trapèze – : le verre pilé. Pendant l’entrée public, Marcelo Nunes se tient en équilibre sur deux bouteilles, tour assez classique en cabaret. Mais c’est pour prendre aussitôt la tangente : sortant un marteau de sa poche, il sonde puis fracasse ces précaires perchoirs, avant que la lumière ne s’élargisse pour embrasser un plateau recouvert de bris de verre.
L’interprète va donc d’abord évoluer au trapèze au-dessus de ce tapis qu’on imagine atrocement coupant, avant de s’y promener pieds nus, d’y danser et même de finalement s’y rouler. La crainte que l’on a pour sa peau nue en contact avec le verre finit par s’émousser, à mesure du passage du temps, quand on comprend que rien de ce qu’il ne fait ne l’expose vraiment à la moindre blessure – ce qui, quelque part, est plutôt une bonne chose, même si cela fait retomber la tension / l’attention malgré les merveilleuses propriétés sonores et visuelles du matériau. Reste alors le personnage, mais il constitue une force de la proposition : un homme qui semble isolé, qui a possiblement perdu l’esprit, personnage fantasque et magnifique qui semble beaucoup se parler à lui-même, mais qui peut tout aussi bien déclamer des poèmes en les adressant bien droit au ciel. Mi-fou, mi-lluminé, il a le potentiel pour porter un spectacle très théâtralisé sur ses épaules. On verra comment le projet évoluera avec le temps.
Visuel ©Strahinja Acimovic et C. Raynaud de Lage