A l’occasion de la 18e édition du festival Rencontre des jonglages, qui signe l’ouverture d’une nouvelle ère du fait de son implantation dans une nouvelle ville d’accueil, Bondy, le week-end « coeur de festival » s’est ouvert sur deux propositions qualitatives et complémentaires : Dans ma piscine de la Cie Ea Eo et TENDRE de la Cie Le Jardin des Délices – Nathan Israël & Luna Rousseau.
Si le soleil radieux de ce vendredi 16 mai 2025 est à prendre comme un signe de la suite, alors c’est un destin flamboyant auquel est promise la Maison des jonglages et son festival. Dans les rues de Bondy, l’ambiance estivale favorise la venue du public à l’inauguration qui se fait sur un petit parking astucieusement transformé en lieu d’accueil de spectacle à l’aide d’une scénographie simple mais efficace. Le public, populaire et familial, est au rendez-vous, mélangé aux habituel⸱les fidèles de la discipline, le tout se mêlant dans un brouhaha sympathique et chaleureux, où la spontanéité des enfants dialogue merveilleusement avec l’œuvre d’Eric Longequel.
Dans ma piscine de la compagnie Ea Eo est en effet une performance de jonglage autant qu’un spectacle, ce en quoi elle rejoint les autres spectacles de la compagnie. Eric Longequel y tente la confrontation à un environnement aquatique, qui modifie aussi bien la façon dont son propre corps peut se mouvoir que les forces physiques qui s’appliquent aux objets jonglés. L’aquarium à base hexagonale de 6800 litres – qui peuvent être réutilisés pour l’arrosage des espaces verts de la ville – avait déjà servi dans Les Fauves, spectacle dans lequel le jongleur avait déjà testé le dispositif et ses possibilités. Il en reprend les meilleures idées pour les travailler plus en profondeur, avec un humour un peu potache et une proximité évidente avec le public, bien qu’une épaisse vitre le sépare du premier rang.
Les objets jonglés sont ici atypiques et éphémères : souvent, il s’agit d’objets ordinaires – des ballons, des bouteilles en plastique, etc. – détournés pour cette nouvelle utilisation, préparés en direct pour leur nouvel usage… Le temps même du découpage, du nouage, du gonflage, font partie de la dramaturgie du spectacle et de son rythme : Dans ma piscine est une exploration d’un univers où la résistance de l’eau rend tout plus lent, ce qui pose des problèmes inédits au jongleur. La plus simple cascade – une figure de base en jonglage – devient ralentie au point de sembler irréelle… quand elle ne se fait pas à l’envers, Eric Longequel utilisant la poussée d’Archimède pour jongler contre une force s’exerçant vers le haut plutôt que contre la gravité qui s’exerce vers le bas. Au passage, c’est l’occasion de développer un cirque d’objets en trois chapitres – VHS, latex et PVC – où la recherche sur la matière et le jonglage n’empêchent pas une dramaturgie propre de l’objet jouant sur les signes auxquels ils renvoient, ce qui permet une kyrielle de gags visuels.
Il y a donc performance technique, exploration, humour, mais également une belle prise de risque à choisir ainsi l’espace public. La musique – composée par Sylvain Quément – aide à créer une immersion dans le spectacle malgré la relative absence de sons en provenance de l’aquarium, mis à part les bulles et les moments de respiration. Mais, même au travers d’une vitre blindée, le circassien arrive à établir un rapport avec le public, les enfants particulièrement se délectant des éclaboussures et jets d’objets détruits rejetés hors de l’eau, puisque c’est leur lot de finir ruinés, abandonnés sur le côté. Au-delà de l’intelligence de la proposition et de son humour, Dans ma piscine propose quelques images très belles, qui viennent rappeler que le milieu aquatique se prête à de véritables ballets où la matière et la lumière ne jouent pas de la même façon qu’hors de l’eau – on ne s’attendait pas à trouver un jour un préservatif aussi élégant.
Sans doute ce spectacle se bonifiera-t-il à mesure que la connexion entre l’artiste et le public se renforcera, en tous cas est-il certain qu’il y a là matière à saluer une belle performance de cirque.
Le spectacle TENDRE faisait suite à celui de la Cie Ea Eo, en salle cette fois, et il partageait avec lui le fait de ne pas rechercher la narration mais de s’abandonner au contraire au mouvement pur en fonction de l’agrès choisi. La compagnie Le Jardin des Délices, créée par Nathan Israël et Luna Rousseau, propose ici une exploration poétique et acrobatique des équilibres, autour de longs bâtons blancs. Autre point de contact avec le spectacle précédent : une certaine légèreté, un humour sans condescendance qui passe par une certaine auto-dérision. Sur scène, quatre interprètes, une musicienne, DalidaCarnage, et trois acrobates, Colline Caen, Nathan Israël et Dimas Tivane cherchent, sur le plateau globalement assez nu, tout juste décoré de quelques accessoires de type plante qui font penser à une jungle ou une forêt. Cherchent quoi ? On ne le sait pas. On ne sait rien non plus d’où iels viennent ni où iels vont. Sans doute parce qu’iels n’ont pas besoin d’être d’un temps ou d’un lieu précis, et que le spectacle se passe d’histoire.
Ce qui se déploie pendant le temps du spectacle – peut-être, et on sait le point auquel la remarque est un poncif s’agissant des premières représentations d’une proposition, un tout petit peu long – c’est un dialogue qui passe par le jeu, une connivence qui se construit autour de la recherche de l’équilibre. Cela commence tout petit pour finir spectaculaire, dans un glissement continu qui semble naturel, depuis le premier geste qui consiste à planter un bâton sur le sol, en équilibre sur son extrémité, jusqu’à la conquête d’une suspension aérienne – sur un agrès qui ne peut que faire penser au travail de Chloé Moglia – qui ne peut aboutir que grâce à la coopération des trois circassien⸱nes et un sens aigu de l’équilibre… et de l’écoute réciproque. Dans le cheminement menant de l’un à l’autre, la manipulation des bâtons, puis plus tard de morceaux de charbon, se mêle à une mise en mouvement des corps qui mène à des moments de danse fluide et parfaitement intégrés à l’ensemble.
Construit autour d’une prise de risque et d’un degré d’interaction croissant, TENDRE est comme une métaphore de la vie – avec ses instants de déséquilibre qui succèdent aux instants de grâce – mais qui n’aurait pas la prétention d’être une métaphore. C’est un spectacle qui séduit par sa fraîcheur et son apparente simplicité. Le caractère inexplicable du comportement des personnages peut dérouter, mais la simplicité presque animale avec laquelle iels réagissent aux stimuli de leur environnement est comme un manifeste, la recette perdue d’un équilibre non seulement physique mais métaphysique.
TENDRE est une proposition généreuse dont on espère qu’elle trouvera son public.
Visuels : © Paul Jacobs / Sébastien Armengol