« Radio Maniok » : le cirque réunionnais affiche ses ambitions
par Mathieu Dochtermann22.10.2024
À l’occasion du festival Circa à Auch, la cie Cirquons Flex présente son spectacle Radio Maniok, qui se double d’une très intéressante exposition accueillie dans le foyer qui jouxte la salle Turin au Circ.
C’est un spectacle bourré de bonnes choses que ce Radio Maniok. A commencer par de véritables galettes de manioc, distribuées à l’entracte de ce spectacle-fleuve de presque deux heures, prétexte à abattre le quatrième mur que cette proposition généreuse – qui a des choses à dire et qui veut absolument qu’elles soient entendues – veut gommer. Il y a aussi la musique live, qualitative, avec quelques harmonies simples qui restent longtemps en tête, une basse franchement groovy, et un vrai petit concert.
Il y a encore d’excellentes idées, comme le fait d’éclairer certaines scènes avec des petites torches tenues à la main quand les personnages se retrouvent au fond de la forêt. Il y a une source d’inspiration historique intéressante, l’épisode des « Années Terribles », lorsque la Réunion s’est retrouvée coupée du reste du monde pendant la Seconde Guerre. Une exposition un peu dense mais tout à fait informative est d’ailleurs accolée au spectacle.
Côté circographie, un bonheur de spectateur
Il y a, surtout, un joli niveau technique au global. Ces circassiens et circassiennes qui vivent et travaillent à la Réunion en ont sous le coude, collectivement, même si les individualités offrent évidemment quelques contrastes. Les parties aériennes – hamac ballant, corde lisse – sont particulièrement réussies, mais il y a aussi de la danse et de l’acrobatie, du main à main et de la jonglerie, en bref c’est diversifié et on en sort avec l’impression d’avoir fait le plein de prouesses circassiennes. En plus, le groupe fonctionne très bien, ses membres ont une attention réelle les un·es pour les autres, il y a sur la piste beaucoup de complicité et elle se sent clairement depuis les gradins.
Radio Maniok a été créé sous chapiteau et adapté pour la salle pour pouvoir tourner en métropole : le résultat est très convaincant, et la cage de scène nue, avec sa peinture noire et ses espaces perdus dans l’ombre fait un beau contraste avec le parquet octogonal en bois clair qui constitue l’essentiel de la scénographie en dehors des agrès. Malgré cela, le nombre d’interprètes en piste, plus une partie de la régie à vue, font que l’espace ne paraît jamais vide ou mal occupé. Le rythme peut sans doute gagner un peu en précision à certains moments clés pour créer une tension plus soutenue, mais c’est une chose qui ne manquera pas d’apparaître avec le temps, à mesure de la vie du spectacle.
Côté dramaturgie, un goût de manque
Il y a tout de même deux bémols, qui font que les deux heures du spectacle se font parfois sentir. D’abord, le jeu théâtral est d’un niveau variable : jamais catastrophique, mais avec des répliques qui manquent parfois beaucoup de justesse, et un surjeu qui recherche l’effet comique mais n’est pas toujours bienvenu. C’est d’autant plus malheureux que Radio Maniok est très axé sur le récit et, de ce fait, riche en texte. Il y de beaux moments de sincérité cependant, dont – et c’est heureux – un final juste et émouvant.
Mais même ce dernier moment est un peu affecté par le second bémol, qui est celui de l’écriture du spectacle. Le texte même n’est pas toujours très finement travaillé, notamment dans les effets comiques – étrange humour que ce passage où un interprète mansplain l’inclusivité à une interprète. Surtout, la construction même du spectacle laisse un peu interrogatif. On se perd parfois dans le récit, pourtant assez simple, auquel on a du mal parfois à relier les tableaux visuels. On comprend qu’il y a une volonté de faire correspondre Histoire, crise des ressources et questionnements liés à la catastrophe écologique en cours, mais on ne saisit pas complètement comment les bouts s’articulent. Pour un spectacle narratif, qui commence en plus par une explication de cinq minutes sur les idées qui ont inspiré ses créateurices, ce manque de clarté dans la dramaturgie interroge…
En somme, Radio Maniok est une proposition généreuse, bourrée de qualités, qui veut peut-être trop faire, ou trop bien. Cela reste une proposition de cirque de très belle tenue, avec un collectif de belles personnes, artistiquement et humainement.
Visuel © Romain Philippon
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