Pling Klang, c’est la complicité de deux artistes, Mathieu Despoisses et Etienne Manceau, réunis dans un spectacle qu’on aimerait qualifier de cirque d’objet participatif. Farfelue en même temps que touchante, cette proposition n’a pas dépareillé au milieu de la programmation du Festival Rencontre des jonglages.
Difficile d’écrire sur un tel spectacle sans divulgâcher son dispositif : aussi conseillera-t-on la prudence, les lignes qui vont suivre dévoilant la plupart des éléments clés du spectacle. En effet, dès avant l’entrée en salle, on sait que les artistes entendent surprendre les spectateur·rices, avec un dispositif inhabituel : Mathieu Despoisses, juché en hauteur, interpelle le public et requiert son assistance pour aider la représentation à commencer. En effet, une bonne des spectateur·rices est condamnée à rester debout s’iels ne se retroussent pas les manches pour monter les chaises et tabourets qui font ici office de gradin.
Muni·es d’une petite clé Allen et d’un plan qui n’est pas sans rappeler un célèbre fabricant de meubles du Nord de l’Europe, nous nous retrouvons donc à genoux en train de serrer des vis dans un joyeux bazar. L’exercice n’est pas innocent : en plus d’instaurer une atmosphère complice et joueuse, propice à un spectacle qui possède des dimensions très clownesques, cet atelier de montage participatif préfigure le prétexte même qui est au cœur du spectacle, où deux personnages – appelés Mathieu et Étienne, histoire de brouiller encore plus les pistes entre la fiction et le réel – vont échanger des confidences pendant qu’ils s’emploient à monter une étagère-bibliothèque.
C’est là le cœur de la proposition : les deux compères vont avoir un dialogue franc, à la fois sur la relation qu’ils entretiennent entre eux et sur leur vie sentimentale. L’un raconte sa découverte du libertinage, et, de fil en aiguille, comment il se retrouve dépassé par une expérience qui est devenue une addiction. L’autre tente d’expliquer les déboires de sa vie de couple, perdu dans sa vie de polyamoureux enchevêtré dans les arrangements passés avec les unes et les autres de ses partenaires passées et présentes. Ces confessions sans fausse pudeur sonnent assez juste, et sont comme une fenêtre sur la vie de deux quadra cisgenre embarqués dans la complexité des vies amoureuses plurielles du 21e siècle.
Sans jugement, mais avec humour, cette parole portée à la première personne dessine un inventaire subjectif des affres de l’homme moderne en tentative de déconstruction. Sans lourdeur didactique, mais pas sans sensibilité, Mathieu Despoisses et Étienne Manceau apportent leur contribution dans la recherche de la réponse à cette angoissante question : comment aimer au 21e siècle ? Peut-être une partie de la solution vient-elle de la capacité à communiquer plus librement sur ses ressentis – en tous cas, c’est la conclusion que nous sommes tentés d’en tirer.
Tout cela est enrobé dans une folle entreprise de montage de meuble, où les deux circassiens semblent s’ingénier à trouver les manières les plus complexes de s’y prendre pour porter l’objet en cours de montage et serrer les vis, selon le principe de base du clown qui consiste à se mettre le plus possible en difficulté. C’est l’occasion de quelques répliques à double sens, qui font sourire : « Ça me pèse ! » et autres « Je vais lâcher ! » ponctuent les manipulations du meuble. L’humour permet de désamorcer l’angoisse ressentie par les personnages, y compris dans leur relation interpersonnelle : quand le montage du meuble est devenu métaphore de leur discorde, ils peuvent compter sur l’aide d’une assistance téléphonique, qui s’avère finalement plus calée en développement personnel qu’en serrage de vis.
Un peu de participation du public est saupoudrée au milieu du spectacle, mais elle est sans commune mesure avec le dispositif de départ. C’est une proposition drôle et touchante, où toutes les fantaisies sont possibles : on n’est jamais à l’abri d’un match de ping-pong improvisé avec des planches, non plus que d’un concert techno arrivé de nulle part. Le rythme est prenant. Ces deux personnages, paumés et maladroits, seront d’autant plus attachants que les interprètes arriveront à faire totalement croire en leur histoire : le spectacle en est à ses débuts, et il y a encore une marge d’amélioration possible sur la justesse du récit.