Du 24 janvier au 18 février 2024, La Villette accueille le spectacle de sortie des élèves du CNAC, mis en piste cette année par Sophia Perez (Cie Cabas) : Parce qu’on a toustes besoin d’un peu d’espoir. Un spectacle pas du tout sur l’esbroufe technique, qui se veut un manifeste d’une jeunesse en désir d’une autre façon de faire le monde.
On le sait, on l’a mille fois écrit, mais parfois la démonstration est particulièrement marquante : le cirque contemporain n’est pas cantonné dans les limites des agrès traditionnels, et il ne rechigne pas à emprunter aux autres arts. Ainsi, Parce qu’on a toustes besoin d’un peu d’espoir est indubitablement un spectacle de cirque : il y a de la jonglerie, du trapèze danse, du mât chinois, du cerceau aérien… Mais il y a en même temps énormément d’utilisation du corps en mouvement dans l’espace, d’acrodanse ou de danse tout court, et les élèves du CNAC et Sophia Perez ont écrit un spectacle où le texte est prééminent, mettant dans la bouche des interprètes un flot de paroles qui, sans tourner tout à fait à la logorrhée, crée par moments un effet de saturation. On vérifie aussi que le cabaret a le vent en poupe, et que la tentation est grande de l’inviter sous le chapiteau pour un supplément paillettes.
De quoi s’agit-il, alors ? Comme le titre du spectacle le suggère, Parce qu’on a toustes besoin d’un peu d’espoir fait le constat que tout n’est pas rose, mais il s’agit aussi de positiver. « Ne désarmons pas ! », semble dire ce spectacle, et il ne s’agit pas là de se charger de natalité ou de redressement productif – on ne vient pas au cirque pour entendre des experts de l’INSEE –, mais de liberté(s) individuelle(s), d’une foule de petites envies, de micro-confessions intimes ou d’aspirations à l’échelle de la société toute entière, notamment sur le plan de l’égalité de genre ou celui du traitement des étrangers. La scène des toasts, où les interprètes trinquent à tout, à la vie et à la mort, au rire et à la richesse des larmes, à des lendemains qui chantent et à des hiers qu’on ne regrettera pas, est touchante. Mais l’addition des inclinations personnelles ne fait pas un programme commun, et l’accumulation des proclamations ne fait pas un dialogue. On serait bien en peine de devoir esquisser le projet de société pour ce futur qui se fait attendre, en dehors de quelques lieux communs que le collectif formé par les douze circassien·nes arrive tout de même parfois à investir d’un souffle d’authenticité et de désir.
Les premières minutes du spectacle annoncent d’emblée la tonalité de la suite : la troupe se lance dans un long tour de piste où le groupe parcourt l’espace du chapiteau en une grappe dont l’un·e ou l’autre s’échappe par moments pour esquisser quelques mouvements autonomes, tandis qu’une des interprètes confie au micro un flot bouillonnant de mots. Il est heureux, vu l’importance du texte, que le niveau d’interprétation théâtrale soit globalement bon. Et on ne pourra pas retirer aux circassien·nes leur maîtrise technique des disciplines mises en œuvre… même si certain·es sont un peu en retrait : en effet, le faible nombre de soli, et la valorisation de la parole, laissent quelques élèves dans l’ombre. Cela ne dessert pas l’œuvre, mais pour un spectacle qui constitue l’occasion de mettre en avant les compétences de chaque élève, c’est peut-être dommage, encore que cela donne du coup un fort sentiment d’effacement des égos derrière l’intérêt du collectif, ce qui est politique en soi.
De ce spectacle très ramassé (75 minutes), on a donc envie de dire qu’il est joliment mis en espace, mais curieusement écrit. On adhérera, ou pas, au propos, selon qu’on arrive au spectacle en étant déjà plus ou moins climatosensible ou convaincu·e de l’importance de défendre les droits des personnes LGBTQIA+. Parfois, la litanie de proclamations prend un caractère surréaliste, et il y a quelques inventions poétiques – dommage cependant qu’il n’y ait pas un peu plus d’autodérision, pour la légèreté. Et il y a des éléments du spectacle dont on ne sait trop que faire, ni ce qu’ils sont censés nous raconter, comme la timide esquisse de participation du public qui passe en un battement de (faux) cils. On aimerait vraiment être avec les artistes, mais l’émotion est en retrait, et on reste souvent dans une position un peu extérieure. Reste que l’on assiste à quelques très beaux numéros : en acrodanse Faustine Morvan et Mats Oosterveld nous régalent, en jonglerie Isaline Hugonnet et Yu-Yin Lin – dans des styles très différents – montrent une sacrée maîtrise de la balle et du diabolo, et Sonny Crowden au cerceau aérien a un charisme certain en plus de sa technique.
Pour un public qui ne s’attacherait pas à toute force à un spectacle qui serait à 100% composé de numéros de cirque, Parce qu’on a toustes besoin d’un peu d’espoir peut séduire dans la forme, même s’il pèche sur la consistance du fond.
GENERIQUE
Mise en scène Sophia PEREZ
Mise en mouvement Karine NOËL
Soutien mise en scène Tom NEAL & Marthe RICHARD
Création sonore et musicale Colombine JACQUEMONT
Création lumière Victor MUÑOZ
Costumes Maïlis MARTINSSE
Avec les interprètes de la 35e promotion du CNAC : Trapèze danse Thomas Botticelli Cerceau aérien Sonny Crowden Jonglage Isaline Hugonnet Mât chinois Carlotta Lesage Jonglage Yu-Yin Lin Acro danse Faustine Morvan Acro danse Mats Oosterveld Équilibres Antonia Salcedo de la O Roue Cyr Cassandre Schopfer Plateforme Nina Sugnaux Acrobatie au sol Matthis Walczak Acro danse Anouk Weiszberg
Visuel :© CNAC