Dans le cadre du festival SPRING, La Brèche à Cherbourg programme dans les murs du Trident le spectacle Monographie de Guillaume Martinet – cie Defracto. Du jonglage très graphique augmenté de dessin, avec un travail corporel très poussé. Ludique à souhait.
Guillaume Martinet n’est pas qu’un très bon jongleur : il a une signature artistique bien reconnaissable, et une façon assez inimitable d’occuper l’espace, jouant de son corps tout en longueur dont il semble embarrassé jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’en athlète bien préparé il peut au contraire le plier à la moindre nécessité de ses spectacles. Jonglage précis qui cherche le sol et les temps d’arrêt, goût pour les accompagnements musicaux hip hop et pour un humour élégant et pince-sans-rire, voilà ce qui pourrait caractériser l’univers de l’artiste, en version un peu réductrice. Sur ces plans, Monographie ne déçoit pas, mais ajoute des dimensions qui en font une oeuvre très intéressante.
De façon évidente, manifestée de manière très affirmée dès l’entrée en salle, Monographie fait appel au dessin, un dessin naïf et faussement enfantin, dont une bonne partie de la salle de représentation est recouverte, comme autant de graffitis – sur feuilles de papier – qui auraient recouvert les murs et le sol. Un univers graphique fait de dessins tracés au gros feutre noir sur fond blanc – code couleur qui sera tenu tout du long du spectacle, où chaque numéro de jonglage sera précédé d’une évocation dessinée de ce qui se jouera dans l’espace de jeu, y compris le mouvement, suggéré par la manipulation des images que Guillaume Martinet monte et descend, met en rotation, bref : fait bouger pour évoquer la future trajectoire des objets avec lesquels il jongelra. Cette dissociation de deux espaces scéniques, l’un pour la représentation dessinée, l’autre pour la mise en corps et en objet, génère un dialogue entre deux dramaturgies visuelles et crée du jeu et de la place pour l’imaginaire. La manipulation des images est encore perfectible, avec des points fixes un peu trop remuants notamment, mais l’idée est bonne et on voit où le spectacle se dirige.
Guillaume Martinet met également au service de Monographie un humour à la fois physique et généreux : aucun mot n’est prononcé de tout le spectacle, mais il dialogue tout de même intensément avec le public, ne lâchant jamais la salle, réagissant à tout ce que lui fournit le public. Le dispositif tout entier du double espace, dans lequel il se crée des contraintes sous forme d’interrupteurs défectueux et de murs invisibles, lui sert à un clown corporel qui louche vers le mime, école Marceau. En multipliant les obstacles, l’artiste multiplie l’occasion de grimacer et de se mettre dans les positions les moins ordinaires. Autre nouveauté, quelques effets magiques d’apparition / disparition simples mais efficaces ajoutent une dimension ludique – et de surprise – supplémentaire dans les transitions entre univers dessiné et univers de jonglage.
Quant à ce dernier, Guillaume Martinet jongle en engageant tout son corps. Ce sont, définitivement, les balles qui lui réussissent le mieux, mais il utilise également des anneaux. Qu’il joue sur la possibilité de provoquer des rebonds ou au contraire sur l’absence complète d’élasticité des objets qu’il lance, il s’amuse à se contorsionner autour et en-dessous d’eux, avec un sens du rythme et une coordination impeccables. Un dispositif sonore fait de micros cernant l’espace de jeu lui permet d’amplifier les impacts des balles, le bruit de ses semelles sur le tapis de danse, donnant une consistance sensorielle accrue à ses évolutions. Le trucage visuel s’augmente d’ailleurs d’un trucage sonore : tout un hors-champ situé derrière l’espace de jeu – et donc caché à la vue – existe grâce à des bruits qui s’y produisent quand, à la fin de chaque numéro, le jongleur s’y débarrasse des objets qu’il a employés.
On a terriblement envie de dire de cette proposition ludique, très travaillée mais qui ne se prend pas au sérieux, qu’elle est cool. En tous cas, elle ravit le public jeune, et les adultes y réagissent également tout à fait bien, même si pas exactement de la même façon, les premiers étant très en prise avec le premier degré et l’humour physique, les seconds avec le comique absurde et l’univers un peu loufoque de Monographie.
Visuel : Morel