Jusqu’au 17 décembre, l’Azimut – Pôle national cirque programme le spectacle Low Cost Paradise, une création du Cirque Pardi! qui a fait ses premières en 2019. Il s’agit d’une forme hybride, entre cirque et cabaret, avec une esthétique rétro qui regarde du côté du cinéma. En se mettant lui-même en scène, le spectacle part d’un univers dystopique – qui a tout à voir avec notre monde – et de personnages imparfaits pour tenter de, tout de même, trouver un chemin vers la joie, voire vers un avenir possible.
L’un des marqueurs de ce qu’on appelle le cirque contemporain est qu’il est en prise avec son époque : perméable aux questions de société, il s’écrit en tenant compte du contexte dans lequel il s’inscrit. Est-ce pour cela que les propositions aux accents dystopiques ne manquent pas ces derniers temps ? Dans la veine du splendide Oraison de la cie Rasposo, Low Cost Paradise campe d’abord un cirque à paillettes gentiment conventionnel pour mieux faire dérailler la représentation par la suite, mais en privilégiant une écriture par vignettes qui ne tente pas l’esthétique sombre et dérangeante de Marie Molliens. Autre point de rapprochement, l’utilisation du clown : mais il s’agit moins ici de la figure du clown comme révélatrice des travers de la société du spectacle que du clown poétique et fragile, traversé par sa propre impuissance, qui vient ausculter ses blessures sous l’œil du public. Comment, sur cette base, faire encore spectacle ? Où trouver la joie de créer ? Et pourquoi le public continuerait-il à venir sous le chapiteau ?
C’est une description du spectacle qui pourrait inquiéter : à lire ce qui précède, on pourrait craindre une proposition bavarde, prétendant vainement philosopher sur elle-même, en un mot, ennuyeuse. Or, il n’en est rien. Ce n’est pas parce que l’on interroge son art que l’on oublie sa technique : aussi les numéros de trapèze ballant, de main à main ou de vélo acrobatique, pour n’en citer qu’une partie, sont-ils parfaitement maîtrisés par les circassien·nes aguerri·es de la troupe. Comme souvent, la musique est jouée en direct, et les artistes en piste démontrent à tour de rôle qu’iels peuvent venir accompagner le musicien, qui en poussant la chansonnette, qui en s’emparant d’un clavier ou d’une caisse. L’omniprésence de la musique et des chansons, et le choix de proposer plusieurs passages dansés, donne au tout un côté cabaret enlevé et plaisant. Et, sans doute parce que l’humour est la politesse du désespoir, Low Cost Paradise est traversé de moments très drôles : duo de fausses spectatrices sans gêne, clown physique, sketchs avec effets de magie… Alors, certes, le spectacle est un peu long et peine parfois à retrouver du souffle, mais il parvient toujours à ratrapper l’attention du public, d’une façon ou d’une autre. Se gardant de tout didactisme, il ne prétend pas asséner des réponses à la question qu’il pose, faisant confiance à l’intelligence du public et aux conversations d’après représentation.
C’est une proposition qui tient la route : esthétiquement inventive, techniquement au point, avec un brin d’attitude punk qui invite à ruer dans les brancards. Pour un spectacle programmé le weekend en décembre, il ne joue pas la carte des paillettes et de la facilité : c’est finalement assez rafraîchissant !
GENERIQUE
Création collective de et par Antoine Bocquet, Carola Aramburu, Julien Mandier, Maël Tebibi, Marta Torrents, Eva Ordoñez en alternance avec Anna Von Grunigen, Elske Van Gelder, Maël Tortel en alternance avec Elouan Hardy, Timothé Loustalot Gares, Janssens Rillh
Regard extérieur Garniouze
Technicien, rigger, sondier, constructeur Janssens Rillh
Régisseur général Anthony Caruana
Administratrice de production et de tournée Malika Louadoudi
Chargées de production Zoé Gaudin-Hubert, Laura Cardona
Visuel : (c) Circusögraphy