Au Mans, sous un chapiteau, on trouve un drôle de restaurant où le menu mêle soupe à la tomate et contorsion, gratin de gnocchis et trapèze : un régal !
La cie Max et Maurice a quarante ans et les patrons ont décidé de s’arrêter là. Mais pas sans une dernière tournée (et l’on s’en réjouit) où ils piochent avec leurs vieux comparses dans le répertoire de la compagnie. C’est dans ce cadre que Le Mans fait son cirque les accueille avec deux spectacles dont, Les grands fourneaux#2, reprise d’une création qui a presque 10 ans aujourd’hui .
Autour de la piste sous le chapiteau, tables et chaises nous attendent comme au restaurant. On s’y installe avec les autres spectateurs et spectatrices. C’est de là, que l’on verra, le spectacle et que l’on se délectera du menu végétarien concocté par Florence Bray. On ne sait exactement où l’on est entre cabaret et restaurant itinérant, fêtes foraines et baraques d’entresort. Le ton est donné : on est du coté de la tradition, de la nostalgie, de la convivialité.
On pense beaucoup, dans ce restaurant foutraque à Lapin Chasseur l’un des premiers spectacles des Deschiens. Ces familles ont d’ailleurs tant en commun. Le burlesque d’abord. Comment ne pas rire aux éclats, quand les deux compères, jouent Strauss père à la pompe à vélos ? Ou devant un numéro de magie de disparition/apparition de bouteilles de vin à la fois drôlissime et bluffant. La musique également, qui est ultra présente dans le spectacle. Signée Cyriaque Bellot, elle mêle tout à la fois les chansons réalistes des années 20, Kurt Weil, le cabaret berlinois et la tango argentin, en passant par des vents que l’on croirait sortis de La piste aux étoiles. On s’attendrait presque à voir Yolande Moreau venir nous servir le dessert sur un air de Luis Mariano. Enfin le lien entre les troupes tient aussi à l’attention à la poésie qui peut surgir de n’importe où, à l’étrangeté comme promesse d’un possible moment de grâce, à la générosité de ces êtres un peu cabossés mais dont la foi en l’art et au fait d’être ensemble est inébranlable.
Au détour d’une blague, d’un court sketch ou d’un mouvement faussement involontaire, la beauté surgit et l’émotion avec elle. Dans son solo tout d’abord comique de capilotraction, Chiari Bagni finit par nous bouleverser. Notre émotion est aussi saisissante dans les numéros de voltige ou dans le solo de contorsion de Sandrine Colombet.
C’est surtout quand les deux compères sont seuls sur scène que l’on est absolument menés au bord des larmes. Mêlant magie, musique, jonglerie, danse, mentalisme, on voit ces corps vieillis et sans doute fatigués par quarante années de répétitions, de créations et de tournées s’offrir aux regards. S’excusant presque parfois, nous regardant avec la malice de ceux qui savent tant de nous, le public. Les numéros sont surannés et c’est tant mieux. On peut se réjouir aussi parfois d’être en terrain connu. Parce que ces deux corps là ont écrit une certaine histoire du cirque en France. Et surtout leurs gestes, comme dans leur hilarant numéro de cerceaux par exemple, sont certes moins volontaristes ou énergiques mais tellement plus poétiques, le temps passant. Alors, oui, la fin de soirée a non plus le goût de l’excellent carrot cake servi en dessert (le service seul mériterait le détour) mais celui de la nostalgie..
Et l’on ressort du chapiteau de la Cie Max et Maurice, le sourire aux lèvres bien sûr, la panse bien remplie, la tête dans les nuages d’un monde plus coloré, sympathique et joyeux mais aussi la larme à l’oeil de cet aurevoir à l’une des plus grandes compagnies de cirque française.
Crédit photo : Sébastien Cagnol