Rêver ensemble, rêver local, avec « Les Établissements Félix Tampon dans votre ville »

Prenez un village, une bourgade, un bourg. Considérez ses habitant·es, son cœur de ville trop vide, ses rues où les voitures passent mais personne ne s’attarde. Imaginez d’y inviter une bande de saltimbanques d’allure absolument excentrique, épris de musique et de poésie, qui balade leur bamboche clownesque de place en place, et prend à bail un local pour y ouvrir un magasin de rêves.

C’est une expérience artistique en même temps qu’anthropologique, aux ramifications politiques et possiblement même cosmiques. Les Établissements Félix Tampon dans votre ville, sous la houlette du clown du même nom, exa-gérant de la boutique, installent leur présence sur le temps long, se mêlent à la vie telle qu’ils la trouvent, visitent les commerces, s’arrêtent sur un banc pour parler avec une personne âgée, se laissent aller au hasard des rencontres. A force d’arpenter l’endroit, à pied ou en cyclo-pédalo, ils apprivoisent et se font apprivoiser, dans un mouvement d’adoption mutuelle où se joue quelque chose d’une précieuse humanité. Les membres de la troupe et les habitant·es s’appellent par leur prénom, et on sent comme une fierté que la ville abrite ces hurluberlu·es.

Une rencontre où toutes les personnes croisées se sentent considérées, et non moquées

Artistiquement, les propositions que l’on trouve dans la boutique éphémère plantée en face de la Poste sont tout sauf frelatées. On y trouve « du rêve, des chansons, du rire, du spectacle vivant et de la folie à partager », et, par conséquent, il s’agit de « la seule boutique où rien ne s’achète et dont on ressort les mains vides »… mais le coeur empli ? Sur la petite place devant la devanture, les musicien·nes enchaînent les morceaux, et le talent ébouriffant de Guilhem Fontes fait mouche, souvent accompagné au chant par Isabelle Quinette. Au fond de la boutique est aménagé le plus petit théâtre du monde™, où les spectateur·rices curieux·euses peuvent attraper au vol des entresorts – dont on retrouve certains dans le Cabarêve des Établissements Félix Tampon – qui jouent tantôt sur l’humour absurde – fabuleux concert onomatopéique de l’impeccable Junior, alias Sacha Ribeiro – tantôt sur la prouesse circassienne. On n’a pas le temps de prendre racine : aussitôt un café avalé on suit la petite troupe jusqu’à une salle communale où iels ont préparé un goûter où iels nous servent à la table.

Ce n’est pas peu dire qu’on passe un bon moment. On est saisi, surtout, par la grande complicité qui s’est créée en quelques jours entre la population et les artistes, ou plutôt entre la population et les personnages. Il y a là une qualité d’attention donnée à l’autre, une volonté déterminée de donner le meilleur d’un humour absurde qui ne tombe jamais dans la facilité – Heinzi Lorenzen et son clown Fritz sont des spécialistes de ce numéro d’équilibriste où on craindrait la vulgarité au premier abord, pour finalement repartir avec l’envie de le serrer sur son coeur. Félix opère sans jamais brusquer la rencontre, en faisant en sorte que toutes les personnes croisées se sentent considérées, et non moquées. Et ça marche, manifestement.

Cette entreprise artistique d’infusion lente est un véritable bien d’utilité publique : si chacune des quelques 35 000 communes existant en France avait son antenne des Établissements Félix Tampon, tous nos problèmes ne seraient certes pas résolus, mais le Bonheur Intérieur Brut ferait un bon de gnou en avant, et ce serait déjà un grand bien.