Jusqu’au 23 novembre, Le Pas du Monde, la dernière création du Collectif XY, prend ses quartiers à l’espace chapiteaux de La Villette. Une oeuvre pour 22 interprètes, circassiens et chanteureuses mêlé·es, ballet chorégraphié de portes acrobatiques évoquant le temps qui passe et le rapport de l’humain au vivant.

« Le Pas du Monde » de la compagnie XY ©Mélissa Wauquier
C’est un très grand plateau, pour une très large distribution. La scène d’ouverture du Pas du Monde est un crescendo qui permet de lentement dévoiler la force du groupe, la tranquille et irrésistible énergie des corps lorsqu’ils font foule et qu’ils prennent possession de la scène dans un mouvement qui dont l’apparente anarchie cache une intention patiemment construite. Dans des traversées de cour à jardin et inversement, les vingt-deux interprètes balaient l’espace, créent des vagues, des flux et des reflux, pour finalement s’agréger en un mur de corps serrés, colonnes impeccablement tenues, épaule contre épaule, dessinant la silhouette d’une montagne. Et d’aussitôt s’effondrer dans une descente maîtrisée, les corps liés encore mais cette fois à l’horizontale, dans un amas où les individus se confondent.
Il y a là les ingrédients fondamentaux du vocabulaire visuel du Pas du Monde, augmenté par des lumières qui tantôt élargissent l’espace et tantôt le resserrent sur un ensemble ou un corps. En alternant recherche du sol et mouvement vers le haut, déplacement lent et évolution rapide, cohésion du groupe ou éclatement en figures parallèles, le Collectif XY se donne les moyens de sculpter avec précision des tableaux où les humain·es, par la grâce du nombre, arrivent à perdre de leur individualité pour se (con)fondre dans des masses animées qui évoquent des phénomènes naturels ou des paysages. Surtout, la compagnie ajoute à ce Pas du Monde un ingrédient qui ne lui est pas habituel : le chant choral, qui donne à la fois puissance et délicatesse à l’ensemble. Dans une langue inventée, il accompagne aussi bien les marées de l’océan que les révoltés des humain·es. Cette addition très bienvenue crée une intensité émotionnelle supplémentaire – on se prend à regretter presque que tout le spectacle ne soit pas uniquement accompagné par les voix nues des interprètes.
Il ne s’agit pas cependant de faire œuvre figurative dans ce Pas du Monde : il y a une écriture du mouvement qui a une qualité suggestive, éminemment chorégraphique, qui fait ressentir plutôt que voir. Parfois une image nette peut naître, comme celle d’une forêt de troncs aisément figurée par des colonnes à deux, mais la métaphore reprend vite son empire. Plus claires – mais pas réduites à de serviles imitations de leurs modèles – sont les scènes où les interprètes composent seul·es ou à plusieurs des animaux dont les mouvements sont très étudiés, dans une évocation qui ne manque pas d’humour. C’est un étrange carnaval des animaux qui a lieu alors, où les corps humains se lient pour découvrir leur propre animalité, brouillant la frontière entre homo sapiens et le reste du vivant.
Sur le plan technique, il n’y a pas dans Le Pas du Monde de recherche de virtuosité pour la seule virtuosité. Le spectacle est très physique, avec énormément de déplacements sur un grand plateau où les interprètes courent plus souvent qu’iels ne marchent, dans une chorégraphie du déplacement qui compose des tableaux à vingt-deux corps. Les voltigeur·euses ne décollent finalement pas tant – même si quelques saltos spectaculaires, et quelques réceptions sur les épaules d’un ou une porteur·euse en haut d’une colonne viennent rappeler que le Collectif XY peut atteindre un haut niveau de technicité au besoin. Mais la priorité est ici donnée à la poésie et à la vérité des corps. Il est d’autant plus dommage que le rapport scène-salle soit aussi froid et distant : non seulement l’immense gradin installé par La Villette éloigne-t-il fort le public des interprètes, mais le rapport très frontal du spectacle avec la salle jure-t-il avec le côté très organique du chant à voix nue et avec la générosité avec laquelle les corps se livrent sur scène. On regrette un peu la disposition immersive adoptée pour Möbius, le précédent spectacle du collectif, même si cette mise en scène semble être la condition pour permettre une création lumière très étudiée… dont on a parfois la sensation qu’elle devient envahissante.
Visuel ©Mélissa Wauquier