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23.10.2024 → 25.10.2024

« Huellas » : une tentative de remonter aux sources du mouvement

par Mathieu Dochtermann
28.10.2024

Du 23 au 25 octobre, le festival Circa à Auch accueille Huellas, un spectacle d’acrobatie de la compagnie Hold-up & co / Olivier Meyrou et Matias Pilet.

Une archéologie par l’acrobatie, le comique en plus

L’inspiration est belle : observer les traces fossilisées laissées par nos ancêtres dans une terre glaiseuse il y a quelques dizaines de milliers d’années, reconstituer / imaginer quels mouvements y correspondent, se connecter à la possible mémoire millénaire d’une gestuelle archaïque. Le point de départ du travail de Matias Pilet et Olivier Meyrou est séduisant. Il induit par ailleurs une scénographie pleine de potentiels : un rectangle d’argile noire de 8 mètres par 7, non pas impeccablement nivelé au rouleau mais au contraire creusé, vallonné, criblé par les traces de mille passages. La trace, la mémoire, l’animal humain : c’est la promesse de belles explorations !

 

Sur ce terreau fertile pour l’imagination, Fernando Gonzalez Bahamondez et Matias Pilet amènent une acrobatie très joueuse, qui glisse facilement vers la danse. Le premier, apprend-on en lisant la feuille de salle, campe un homme de Néandertal, ce qui va bien avec ses cheveux longs et sa carrure musculeuse. Il développe une qualité de mouvement rugueuse, proche du sol, ancrée dans la gravité. Le second interprète un Homo sapiens auquel il confère des gestes plus doux et maniérés, un mouvement plus aérien, parfois même bondissant, finalement dansant.

 

La confrontation des deux donne lieu à un duo comique corporel assez savoureux, entre le balourd attachant et rustre et le petit homme tout en finesse. Huellas joue sur des ressorts connus, c’est presque caricatural, mais cela fonctionne. Et les qualités techniques et de présence de l’un et de l’autre rendent l’ensemble très plaisant à regarder. Le choix de localiser temporellement cette rencontre dans le temps de la préhistoire paraît au final assez secondaire, voire anecdotique : c’est une rencontre et un apprivoisement, et il nous semble assez intemporel dans ses mécanismes.

 

Une mise en piste propre, mais un manque de lien à la terre

On reste tout de même un peu déçu par une utilisation de la matière terre glaise qui n’est pas poussée bien loin. Certes, le jus brunâtre qu’elle transfère sur la peau des deux interprètes est utilisé pour leur permettre de se décorer mutuellement de dessins naïfs, dans une approximation de la forme que d’éventuelles peintures tribales de la préhistoire auraient pu prendre. C’est un moment assez beau.

 

Mais toute cette terre disponible n’est presque jamais manipulée, et ne se rappelle aux sens des membres du public que lorsque les impacts des corps au sol la font claquer d’une façon que l’oreille reconnaît immédiatement. Malgré l’énorme travail fait sur la lumière, qui perce l’espace de jeux de découpes précises et qui fait joliment ressortir le relief accidenté du sol martyrisé par les pas, on ne peut s’empêcher de trouver qu’il y a là un potentiel laissé inexploré.

 

Reste la complicité entre les interprètes, qui est absolument manifeste. Le regard doux et joueur de Matias Pilet, qui accroche par moment celui d’une personne assise dans le public. Une belle chorégraphie de corps et de mouvements. On n’a pas l’impression que la promesse d’exploration des traces soit tenue, ou celle de la révélation d’une nature humaine immanente, mais ce qui se passe sur le plateau est suffisamment qualitatif pour tenir le public en haleine.

 

Un gloubi-boulga anthropologique, ou le risque des rapprochements hasardeux

Il faut enfin mentionner, comme étant un élément qualitatif mais également interrogeant, l’accompagnement musical en direct par un musicien et une musicienne, qui inclut un chant Mapuche accompagné de percussions. Cela semble constituer, encore, une manière de susciter un dépaysement vers un imaginaire perçu comme plus brut, plus authentique, et donc plus raccord avec le sujet préhistorique. La musique est tout à fait belle et invite, avec l’obscurité qui règne dans la salle, à une forme de contemplation méditative.

 

Néanmoins, on ne peut s’empêcher de se demander s’il n’y a pas, mêlé aux intentions purement esthétiques, un malentendu qui des créateurs se transmet potentiellement au public : la mise en œuvre d’un melting-pot de signes culturels extra européens, mobilisés parce qu’imaginés plus proches de l’image que l’on se fait peut-être en Occident de cet homme préhistorique – des femmes, on ne saura rien –, au risque d’une confusion entre le contemporain et l’archaïque, le proche et le lointain. Huellas pourrait alors finir par suggérer une connexion entre préhistoire et cultures autochtones contemporaines, ces dernières risquant alors d’être dévaluées au passage. Telle n’est certainement pas l’intention, mais on peut se demander si ce n’est pas un effet possible. On aimerait qu’un·e anthropologue vienne dissiper le malentendu.

 

Au final, Huellas est un spectacle agréable et ludique, mis en corps et en image avec une maîtrise évidente du vocabulaire acrobatique et spectaculaire, mais qui laisse un goût d’inachevé, voire d’impensé qui n’est pas tout à fait confortable.

Visuel : © Didier Delmas