« Heka », le jonglage chorégraphiquement magique de Gandini Juggling et Yann Frisch

« Comment sait-on qu’on a été berné ? »

Le lien entre Sean Gandini et la danse est immense. En 2016, il chorégraphie l’opéra Akhnaten pour Philip Glass, qui, d’ailleurs, tourne dans le monde entier. Parmi ses interprètes (Kate Boschetti, Sean Gandini, Tedros Girmaye, Kim Huynh, Sakari Männistö, Yu-Hsien Wu et Kati Ylä-Hokkala), on compte des danseuses et des danseurs. Mais tous et toutes sont évidemment jongleuses et jongleurs. La pièce commence à table. On compte six chaises, mais pour le moment une seule artiste est assise. Est-elle vraiment seule ? Ses mains se nouent à plusieurs doigts, bien plus que dix, son bras s’étend plus que de raison. Elle a raison : dans la vie, il faut se retrousser les manches ou bien se les faire retrousser, pourquoi choisir ? Assise, seul le haut du corps bouge au commencement, dans un geste très ancré dans la danse postmoderne américaine. Forsythe et Cunningham ne sont pas loin.

« Vous savez ce que vous devez savoir »

Puis, vague spoiler alert, le groupe se montre et, pendant une petite heure, déploie en rythme et ensemble des jeux de balles de jonglage qui ne cessent de susciter une seule question : « Mais comment font-ils et font-elles ? » L’illusion est totale. Les disparitions et les apparitions surgissent sans que les « trucs » ne se dévoilent. Ce qui est vraiment bluffant, c’est que la danse, au sens du mouvement, est toujours présente. Les costumes sont de grandes jupes et des vestes, les jambes sont armées de chaussettes fixes à l’allure un peu kinky. Les objets, petites balles et petits cerceaux, sont là pour augmenter le corps dans ses possibles. On reste scotché face à un ballet parfaitement synchronisé, où les balles rouges et blanches se retrouvent dans les airs au même moment au même endroit.

« L’effet seul compte »

Millimétrée, la pièce, surtout pour une première, éblouit par sa finesse et sa contemporanéité. Heka fait mentir l’idée que le jonglage n’a pas sa place dans le monde de la magie nouvelle. En revanche, et cela n’est pas neuf, le jonglage est lié à la danse. On se souvient de Untitled_I will be there when you die d’Alessandro Sciarroni, où les danseurs jonglaient jusqu’à la mort dans une vision plus jeu du cirque que jeune public. Non, Heka ne cherche pas la chute. Heka cherche à prouver que les frontières sont poreuses entre l’exigence et le divertissement, entre la danse et le cirque. On sort de là hanté par des cerceaux qui restent scotchés dans les airs en défiant la gravité. Magique, n’est-ce pas ? Oui, seul l’effet compte, et dans ce spectacle, les effets se conjuguent au pluriel des talents et de l’écriture fine, qui, elle, est bien réelle.