Jeanne Mordoj (cie Bal) propose avec Foraine une expérience de déplacement, un spectacle immersif qui joue avec les codes du spectacle forain pour mieux bousculer les codes – trop sages ? – de la représentation théâtrale. Donné à la Maison de la Culture Nevers après avoir été créé aux Deux scènes – scène nationale de Besançon, c’est une expérience immersive, poétique et légèrement inquiétante qui est proposée aux spectateur·rices qui s’aventurent dans la salle du théâtre.
Jouer avec les habitudes et avec le regard, déplacer le public – physiquement autant que métaphoriquement – et lui proposer une expérience de liberté contrôlée, tel pourrait, en résumé, être le projet de Jeanne Mordoj en proposant ce Foraine bien singulier. Conçu pour jouer sur les plateaux des théâtres, il y convoque l’univers des attractions foraines, en opérant des glissements progressifs qui rendent la proposition à la fois ludique et extrêmement profonde, pour peu qu’on s’y arrête. Le public, invité d’emblée à se dépouiller des ses chaussures, manteaux et surtout téléphones portables, prend place en petit nombre tout au pied de la scène, alors que dans son dos l’immensité de la salle bée, irréelle dans la pénombre, peuplée de dizaines de rangées de fauteuils vides. Sur scène, une structure gonflable se gonfle, s’agite, danse presque, à moitié menaçante quand elle frémit au bord du plateau. Lorsqu’il s’immobilise sous la forme d’un cube blanc, les spectateur·rices snt invité·es à monter sur scène.
Là se trouvent des stands qui pourraient faire penser à des baraques foraines, disposées autour du cube. Il y a des installations plastiques et optiques, des plumes et des œufs, des augures et des portraits réalisés en direct, des acrobaties au plus prêt du public et monstres affectueux, des files d’attente et une totale liberté de mouvement et de point de vue. Au centre, le cube est empli de Vide, et l’on peut s’y réfugier si on le souhaite. A mesure du spectacle, des figures sont peintes à la main sur sa toile, esquissant des silhouettes qui ont quelque chose d’un art ancestral. Les bruits des attractions se mélangent – paroles, cris ou musique – et les ombres des autres spectateur·rices défilent sur les parois, fantômes ou présences révélées dans une sorte de dispositif panoptique qui ne dit pas son nom. Alors est révélé le grand intérêt de la proposition : nous sommes en partie le spectacle, un spectacle dans le spectacle, nous qui nous regardons les un·es les autres, qui nous croisons et nous recroisons, qui commentons à voix haute cette expérience un peu inhabituelle. La scène finale, à parts égales drôle et inquiétante, orchestrée par une étrange maîtresse de cérémonie, nous renvoie à notre statut de voyeur·euses et de complices. C’est beau, c’est ludique, c’est brillamment pensé.
GENERIQUE
Avec Harry Holtzman, Jeanne Mordoj, Aimé Rauzier
Collaboration artistique Harry Holtzman
Réalisation de la scénographie Ann Williams
Création musicale Mathieu Werchowski
Réalisation des costumes Florence Bruchon, France Chevassut
Création lumière et régie Manu Majastre
Création photographique Marie Frécon
Cheffe opératrice vidéo Olga Widmer
Construction décor et accessoires Mathieu Delangle et l’atelier des 2 Scènes, Scène nationale de Besançon
Fabrication de la structure gonflable Dynamorphe
Automatisation des entre-sorts Loïs Drouglazet
Régie générale et régie plateau Pauline Lamache