Dans un monde en perpétuel mouvement, est-il seulement envisageable de se trouver et d’être soi sans les autres, avec les autres ? Cette question, aussi fascinante qu’éprouvante, traverse Face aux murs, un spectacle qui interroge la mécanique des relations humaines et la lutte intérieure que chacun mène face aux autres et à lui-même. Pendant une heure, Damien Droin nous plonge dans cette révolte intime, entre vertige et dépassement, chute et envol.
Le premier regard sur la scène se fait dans les sous-bassement, dans les tréfonds de la société, celle dans laquelle on ne se reconnaît pas, même avec ceux que l’on croit proche. Un homme est assis au sol, immobile, tandis que les autres l’ignorent, le frôlent, emportés par une frénésie insolente. Cet homme, c’est celui que nous croisons chaque jour au coin d’une rue, devant une boulangerie ou dans le métro. C’est le visage anonyme de ceux que l’on ne regarde plus. L’image est brutale, saisissante. Puis, un autre tableau : une femme attablée tente désespérément de capter le regard de l’homme en face d’elle, perdu dans les méandres de son téléphone…
Le décor est alors renversé, nous plongeons au cœur de l’action, d’une ville, ou tout simplement d’une vie où tout va vite, trop vite pour que l’on puisse s’arrêter et réfléchir sur nous-même et sur les autres. Dans ce temps là, une jeune femme, seule en mouvement sur les trampolines, observent les autres, restés figés dans leur mouvement. Avec un regard enfantin, elle joue avec eux, les renverse, les voit se relever, dans une mécanique implacable. Ce tableau dure un moment, avant que le mouvement de tous reprennent dans une belle synchronisation, pour créer une scène qui vous donnerait presque le vertige.
La scénographie, portée par un jeu de lumière minutieusement orchestré, épouse chaque tableau. La musique, tantôt aérienne, tantôt saccadée, scande les figures des acrobates. Soudain, la salle s’engloutit dans la fumée. Une unique source de lumière fend le brouillard, tranchant l’espace comme un soleil couchant sur l’horizon. Un homme se tient là, immobile, contemplant le spectacle éphémère qui se dessine devant lui. Autour de lui, les silhouettes apparaissent et disparaissent, dans une danse incertaine entre isolement et connexion.
Ce dialogue entre solitude et interaction culmine dans un duo en miroir. Deux acrobates reproduisent les gestes l’un de l’autre, jusqu’à se confondre et qu’il n’en reste finalement plus qu’un, essayant désespérément de trouver son double, qui n’est autre que lui-même. Seul au sommet d’une structure métallique, il semble chercher son reflet, pris d’un vertige mélancolique. L’abandon est une option. Mais l’élan de l’autre, une main tendue, un corps enlacé, devient le point de bascule. À deux, ils dansent, retrouvent l’insouciance du jeu, et rappellent que l’altérité est souvent le seul rempart contre l’abîme.
En résumé, Face aux murs est bien plus qu’un spectacle acrobatique d’une esthétique implacable : il est le miroir de nos batailles intérieures et de nos défis quotidiens, nous rappelant que, même dans l’individualisme apparent, la relation à l’autre demeure le plus puissant antidote contre l’appel du vide.
Visuel © La Scala
En tournée.