Dans le cadre de la BIAM (Biennale Internationale des Arts de la Marionnette), le Mouffetard CNMa programmait dans les murs du Théâtre aux Mains Nues le spectacle Éclipse, de Léo Rousselet (Cirque des petites natures). Un choix audacieux, puisqu’il s’agit plutôt d’un spectacle de jonglage et de magie nouvelle, mais la centralité des objets mis en scène justifie que des lieux de diffusion de théâtre d’objet s’y intéressent.
Formé à l’Ésacto’Lido à Toulouse, Léo Rousselet propose avec Eclipse un seul-en-scène minimaliste, absurde et drôle. L’univers de ce huis clos, sur lequel n’est fournie aucune explication, se cantonne à un petit plancher surélevé, une chaise, un haut-parleur sur lequel est posée une bougie… et un tas d’allumettes à cour, à quelque distance du plancher. C’est tout ce que l’on discerne sur le plateau chichement éclairé du théâtre, jusqu’à ce que l’unique lampe qui éclaire cette scène immobile, à la verticale de la chaise, soit victime d’un faux-contact qui la fait grésiller et provoque des périodes d’obscurité. À la faveur de l’une d’entre elles, l’artiste apparaît assis sur la chaise, comme s’il avait toujours été là. Voilà le cadre posé, en même temps qu’est annoncé l’un des principes moteurs d’Eclipse.
En effet, Léo Rousselet va jongler avec une balle blanche – qui à un moment subira un effet de multiplication – avec une fluidité qui trahit sa formation circassienne. Mais là n’est pas l’essentiel de la proposition : il ne s’agit pas tant dans Eclipse d’admirer l’adresse du jongleur – qui est bien réelle – que de s’étonner de sa propre perception de la balle : le fait que la lumière unique ne soit allumée que par intermittence provoque des alternances noir/lumière plus ou moins rapides, jusqu’à provoquer le même effet qu’un stroboscope. Cet éclairage très particulier permet de travailler sur le rythme, selon que la jongle et l’éclairage sont synchrones ou décalés : la balle peut ainsi paraître suspendue dans les airs, immobile, ou bien disparaître. La balle devient même presque autonome à certains moments, semblant suivre son trajet sous sa propre impulsion.
Cette recherche de l’effet magique rebondit dans d’autres dimensions de l’espace scénique et de la dramaturgie, quand de mystérieuses fuites d’eau se déclarent au-dessus de l’artiste, ou bien qu’il se retrouve à devoir se battre pour réussir à allumer sa bougie et à garder ensuite la flamme vive. L’eau comme la bougie semblent, dans une certaine mesure, dotées de leur vie propre, et d’une conscience de ce que Léo Rousselet fait sur scène. Ce dernier va donc pouvoir inventer des interactions avec cet univers restreint dont les règles se détraquent au fur et à mesure du passage du temps : jongler avec l’eau, tromper la bougie, etc.
Le spectacle est très travaillé, très bien rythmé, et réussit à étirer sur 35 minutes les (més)aventures de ce personnage étrange, un brin maniaque, visiblement dépassé par la situation, dont on ne sait trop d’où il vient ni où il va, mais qui prend des accents clownesques à mesure qu’il invente des solutions absurdes aux problèmes invraisemblables que lui pose son environnement.
Un spectacle malin, bien mené, agréable à regarder, dont on se demande si la forme longue promise à l’automne saura renouveler suffisamment les mécaniques pour maintenir l’attention du public sur presque une heure. Réponse… bientôt !
Visuel (c) Camille La Verde