« Désenfumage3 »: ce spectacle n’est pas le film que vous croyez

Désenfumage3 est un spectacle-patchwork réjouissant

Sur scène, ce ne sont pas moins de six Raoul Lambert différents qui combinent leurs forces pour faire avancer ce train auquel on accroche décidément beaucoup de wagons : Désenfumage3 fait feu de tout bois pour captiver son public… alors même que son sujet est justement la manipulation des spectateur·rices par les images et par le son, et ce que cette manipulation fait à la société toute entière.

Sont donc convoqués au plateau : du vélo acrobatique, du roller, de la vidéo tournée-montée avec effet reverse, du théâtre, des trucages de magie, un soupçon de mentalisme, du jazz, un peu d’acrobaties, beaucoup d’humour, et une participation régulière du public. La résultante est un bazar réjouissant, qui peut donner un peu le tournis mais qui, en permanence, bombarde le public de stimuli avant de le ramener à la question de sa position et de son regard. Cela fonctionne très bien : le rythme du spectacle est construit pour distribuer de façon équilibrée les temps de fiction et les temps de retour au présent et à l’analyse, les surprises disséminées tout le long du parcours sont des aiguillons très efficaces pour maintenir le plaisir et l’attention.

Désenfumage3 vous manipule

Comme dans tout spectacle de mentalisme, la participation du public est essentielle. La compagnie Raoul Lambert travaille avec soin le rapport au public et à la salle, en abattant d’office le quatrième mur et en plaçant les spectateur·rices dans une complicité immédiate, puisqu’il leur est signifié qu’iels constituent un groupe de figurant·es qui doit jouer à être un public de spectacle pour les besoins d’un film. Cette invitation à partager un jeu et à co-construire une fiction dans la fiction crée un lien particulier, instaure une forme de confiance… ce qui facilite d’autant la manipulation.

Les tours employés sont déjà vus, mais ils ne le sont pas tant qu’ils seraient complètement usés. Surtout, ils sont exécutés sans fausse note, sans bricolage maladroit qui en manifesterait les ficelles et diminuerait le plaisir de se « faire avoir ». Raoul Lambert, s’adressant au public, lui parle de suspension de l’incrédulité au cinéma, qui est au cœur de la fiction, en sachant que le mentalisme et la magie nouvelle jouent sur un ressort inverse, qui est de surprendre les spectateur·rices avec des phénomènes qui ont l’apparence du réel…

Désenfumage3 n’est pas une conférence TEDx

Pour ce qui est de la promesse de disséquer l’impact sociétal du cinéma, sous-produit de la société du spectacle, on reste au niveau de la suggestion : la grande révélation, qui est que tous les détails de chaque plan sont étudiés pour produire un effet, que l’art de la réalisation est un art de manipuler le regard, que l’art du scénariste est un art de l’élipse et de la simple vraisemblance, n’est évidemment pas une si grande révélation que cela.

Au fond, l’ambition n’est pas de rendre ludique une leçon de sociologie des arts : elle est de saupoudrer un peu d’intelligence sur un spectacle par lui-même ludique – et c’est très bien ainsi. Aussi les références cinématographiques que font pleuvoir Raoul Lambert et Raoul Lambert vont-elles largement piocher dans la pop culture : ici, on est plus Spielberg que Tarkovski, même si Alice Guy, génie méconnue du 7e art, reçoit l’hommage qui lui est dû.

Désenfumage3 est une proposition scénique ludique

Là où Désenfumage3 se révèle intelligent, c’est dans sa manière de construire un spectacle qui peut se recevoir avec un plaisir constant, qu’on choisisse de rentrer dans la réflexion de fond ou qu’on préfère se contenter de se laisser embarquer par l’humour, les images, les trucages, les tableaux. La justesse d’interprétation est assez variable, mais il y a plein de très bonnes choses dans ce spectacle de “presquedigitation”. La partie musicale est très bonne, avec Camille Chatelain au chant qui a décidément une belle voix. La séquence tournée-montée en reverse est superbement maîtrisée, et d’autant plus fascinante que cette technique est rarement employée sur scène. Les tours de magie et de mentalisme, pour être simples, font leur petit effet.

Le public, à la fin de la représentation, est clairement enthousiaste. Il est difficile de ne pas prendre plaisir à cet habile assemblage d’un peu tout, qui ne se prend pas trop au sérieux et qui stimule agréablement les neurones comme les zygomatiques. Les amateur·rices de cirque pur et dur, en revanche, doivent être prévenu·es : la part de ces disciplines est assez congrue, et, globalement, l’importance du corps dans la proposition est assez faible, même si on s’amuse parfois à l’échanger ou à le faire disparaître.

Reste la question que tout·e spectateur·rice avisé·e se pose sans doute : « Peut-on voir Désenfumage1 si on n’a pas vu le 2 et le 3 ? » La réponse est donnée dans le spectacle…