À l’occasion de la cinquième édition de la Nuit du Cirque, qui se tiendra en Europe et même au delà, du 17 au 19 novembre 2023, Dephine Poueymidanet, secrétaire générale de Territoire de cirque nous parle de sa programmation en rhizome
De la première : le titre, la date (le premier week-end après le 11 novembre) ; une équipe hyper engagée (un graphiste, une attachée de presse) avec qui nous avons grandi et fait évoluer le projet ; un visuel coloré et le principe d’une coopération façon « rhizome ». De la jubilation, la conviction et le brin de « on y va ! » très propres à Territoires de Cirque et au cirque de manière générale. Un petit côté « manufacturé » (que j’affectionne mais dont je reste toujours un peu sceptique). Et le projet de développer La Nuit du Cirque à l’international. La confiance et le soutien du ministère de la Culture.
De la seconde, qui tombait sur les mêmes dates de programmation que la Nuit des Musées, fauchée par la Covid, et qui s’est transformée en Nuit Numérique, nous avons conservé : une agilité de dernière minute indéniable et une force de mobilisation communicative ; une réflexion sur les opportunités du numérique dans le cirque : ses applications en direction des publics et au niveau de la représentation des œuvres. Des partenaires attentifs dès le départ et qui se sont confirmés pour développer La Nuit du Cirque à nos côtés, en France et à l’étranger : Cicostrada, circusnext, l’Institut français.
De la troisième : un format, décidé dès la seconde édition pour répondre à la volonté de participation des écoles de cirque et d’ouvrir l’événement à un plus large public.
La Nuit dure tout le jour, sur un week-end de trois jours, 72h de cirque. Un site internet spécialement dédié, développé par une programmatrice-designeuse qui a rejoint l’équipe. De nouveaux partenaires : ProCirque en Suisse, Buzz en Allemagne.
De la quatrième : une Nuit du Cirque installée dans le mouvement !
A l’origine, La Nuit du Cirque est née d’une idée écrite sur un coin de table, d’une discussion à bâtons rompus entre les membres de Territoires de Cirque. Ils constataient que presque vingt ans après l’Année des Arts du Cirque en 2002, le cirque ne faisait l’objet d’aucun focus national comme La Nuit Blanche ou La Nuit des musées en France, La Nuit des Idées en Belgique… Elle a été conçue sur ce modèle pour faire avancer la reconnaissance du cirque par l’institution et le public. C’est un acte militant et tous les participant.e.s, en France ou à l’étranger, se retrouvent dans ce plaidoyer, cette même communauté d’envie. Un beau fil conducteur qui rassemble, en France, en passant par Taïwan, 15 pays et 222 particpant.e.s.
L’objectif de l’événement était aussi de montrer un très large éventail de la grande diversité du cirque actuel et de représenter toutes les formes, celles de la recherche et de l’exploration comme des formes qui relèvent davantage du divertissement. Toutes deux coexistent sans friction dans le cirque avec un même niveau d’exigence. Aucune ligne artistique n’est imposée, les participant.e.s sont libres de s’emparer de l’événement en fonction de la cohérence de leur propre projet. C’est une pluralité que nous défendons.
C’est vrai qu’avec cette profusion de propositions, l’éditorialisation de l’événement est de plus en plus complexe. Cela étant, d’édition en édition, nous constatons qu’elle permet d’observer certaines tendances esthétiques, à échelle d’un pays mais aussi de manière internationale. Le cirque porte une dimension interculturelle du fait même des modalités de recrutement international des élèves au sein des écoles professionnelles. Il s’importe et s’exporte. Les porosités sont nombreuses.
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a forcément du cirque à côté de chez vous !
En début d’année 2023, de nombreuses structures du réseau ont répondu à la sollicitation de Roman Khafizov, artiste de cirque ukrainien et co-fondateur de la Cie Inshi. Le Sirque, Pôle National Cirque à Nexon, a coordonné l’opération de soutien au sein de Terrtoires de Cirque afin de rendre possible la création du spectacle Rêves. La première, co-organisée par Le Grand T, aura lieu à l’Opéra de Nantes dans le cadre de La Nuit du Cirque. Le Carré Magique, Pôle National Cirque à Lannion, partie prenante de l’opération dès le départ, en porte la production déléguée. Les 14 Pôles Nationaux Cirque de l’association se sont engagés dans l’accompagnement de ce projet aux côtés de nombreuses autres structures. La diversité des membres de TDC fait toute l’originalité de notre réseau et la force de sa capacité de coopération. Aujourd’hui, ce sont 24 maisons qui participent à cette aventure artistique pour en faire ensemble une réussite sur le plan de sa production mais également de sa diffusion. Le calendrier de tournée est déjà avancé pour cette fin d’année et s’élabore pour la saison prochaine. Le projet reçoit également le soutien de la Drac Bretagne, de la Drac Île-de-France et de la Ville de Paris.
Rêves est une création en exil, une histoire de ténacité et de virtuosité. Elle est le témoignage d’une jeunesse renversée par un conflit guerrier, un exemple de l’exigence et de la grande qualité du cirque ukrainien. Mouvements collectifs ou numéros solo, les gestes précis et l’écriture chorégraphique ciselée soulignent la détermination de ces artistes à vivre, résister et rêver, envers et contre tout.
Les artistes du Cirque Inshi, qui ont l’habitude de produire leurs numéros dans le monde entier, livrent ici une performance inédite, puissante et classique. Ils nous proposent une expérience de cirque rarement présentée en France.
Vu l’état du monde, il nous sera difficile d’être de tous les combats…
Mais nous avons l’envie de soutenir le développement de certaines écritures dédiées à un « cirque d’actualité », formulé dans une urgence, porté par une équipe artistique qui a dû fuir son pays (pour des raisons politiques, économiques, humaines…) ou par une équipe qui inscrit son travail dans un esprit d’entraide dans une zone en difficulté.
C’est aussi pour nous l’occasion de renforcer notre logique de collaborations. Les suites de cette mobilisation sont en train de s’écrire.
HSINGHO CO qui propose le spectacle Ait-Cat, à l’occasion de La Nuit du Cirque, a été fondée conjointement par l’ancien artiste du Cirque du Soleil, Hsing-Ho Chen, et une autre actrice clé reliant Taïwan aux communautés internationales du cirque, Yu-Lun Chiang.
Eux-mêmes font partie d’un réseau asiatique de cirque (CAN – Circus Asia Network) qui milite pour la création de lieux de résidences artistiques et de pratique du cirque. Avec d’autres structures taïwanaises, ils ont l’objectif plus vaste de consolider la présence du cirque contemporain à Taïwan, mais également de présenter le cirque de Taïwan dans le monde entier. Ils sont très actifs. Ils organisent des temps d’échanges d’expériences, des ateliers et programmes de formation à travers le monde, destinés aux professionnels ainsi qu’au grand public.
Ils sont aussi présents sur les rencontres internationales organisées par certains Pôles Nationaux Cirque comme la BIAC (Biennale Internationale des Arts du cirque) à Marseille, le festival Circa, à Auch ou le festival Spring, en Normandie. Ils participent également aux programmes de l’Institut français et font partie du réseau Circostrada (réseau européen pour le cirque contemporain et les arts de la rue) qui sont des partenaires déterminants de La Nuit du Cirque depuis la première édition.
Pour reprendre la citation favorite de Yu-Lun Chiang : “Les étoiles, bien qu’elles soient petites, brillent de manière éclatante lorsqu’elles se rassemblent.”
Voilà comment Taïwan fait partie du paysage et de La Nuit du Cirque.
C’est pas l’année prochaine les Jeux Olympiques ?!!
Plus sérieusement, que nous y soyons favorables ou non, ils font l’objet de discussions qui ont aussi animé les membres de Territoires de Cirque.
La Nuit du Cirque ne s’inscrit pas en tant que telle dans l’Olympiade Culturelle, la programmation artistique et culturelle des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.
Territoires de Cirque est en lien avec la ville de Paris et l’équipe des Olympiades mais ce sont les structures du réseau qui inscrivent leurs actions de manière individuelle dans ce programme national. Certaines d’ailleurs ont conçu des événements sur mesure pour explorer les connivences entre art et sport de manière à ouvrir des espaces et rapprocher de nouveaux publics.
Si le cirque est passé d’un cirque d’exploit physique à un cirque d’art à partir de la fin des années 1970, les artistes de cirque restent aussi pour certain.e.s des sportifs et sportives de haut niveau. Certaines disciplines de cirque sont directement issues des mouvements gymniques du 19ème siècle et certain.e.s artistes aujourd’hui s’inspirent de pratiques sportives pour faire spectacle : le Parkour ou le Roller Derby ! Valia Beauvieux, avec Derby s’inspire des actrices de ce sport, leur parcours initiatique, intime et collectif, à travers le dépassement, la virtuosité et la chute. Il s’agit d’une création 2024 dont on pourra découvrir une étape de travail à La Brèche, PNC à Cherbourg, pour La Nuit du Cirque. Ces deux sports ne sont pas encore inscrits aux JO, mais sait-on jamais !
Les passerelles entre le cirque et le sport existent et sont multiples : le rapport au corps, la préparation physique et mentale. Nous envions à ce titre les moyens et capacités d’accompagnement du Sport qui restent pour nous inspirants. Ils ont aussi des valeurs communes : la performance et l’excellence, le dépassement de soi autant que la résilience, le sens du collectif et l’inclusion, la diversité culturelle, l’universalisme… Le rassemblement festif, dans une certaine mesure, est aussi commun au sport et au cirque.