Tout l’été et jusqu’au 6 octobre, la cour des SUBS est occupée par une œuvre plastique monumentale, Crescendo, fruit du travail créatif de Julian Vogel. Il y invite différents artistes pour l’habiter en y entremêlant leurs propres créations : c’était le cas le weekend dernier de La Marche, une fumée de récits aussitôt dispersée de Mathurin Bolze.
Pour occuper un grand espace, faut-il une grande œuvre ? Sans doute pas nécessairement, mais les SUBS ont pris l’habitude depuis quatre saisons d’inviter un·e artiste à installer une création plastique monumentale au milieu de la cour qui ouvre un gigantesque espace entre les bâtiments du site patrimonial qu’ils occupent. Il faut dire que ce n’est pas la place qui manque, entre les façades de l’ancien couvent : une oeuvre de petites dimensions serait sûrement vite perdue au milieu des perspectives impressionnantes dont jouit le lieu.
Aussi la proposition Crescendo de Julian Vogel n’est-elle pas de proportions modestes. Au milieu de la cour monte une ligne métallique, qui s’enroule sur elle-même en une spire avant de s’élancer vers le quartier Chartreux – St Vincent, derrière les SUBS. Montée sur des portiques, haubannée, elle inscrit son dessin sinueux dans un espace fait de lignes dures. Mais l’oeuvre globale reprend ce motif de la ligne, car au rail de métal sont suspendus une centaine de cylindres de céramique, émaillés sur leur face interne mais bruts à l’extérieur, ce qui fait qu’il faut s’en approcher pour cerner leur matière.
Julian Vogel est circassien, spécialiste du diabolo, mais il se passionne également pour la céramique, avec laquelle il confectionne des objets avec lesquels il jongle. Cette commande extraordinaire lui permet pour la première fois de proposer un geste plastique fort, à une échelle qui change totalement le rapport à la matière. Il y a quelque chose d’un grand instrument de musique à cet étrange alignement de tubes suspendus, rigoureusement verticaux ; en même temps que quelque chose d’éminemment ludique, comme un jeu gigantesque qu’on aurait posé au milieu d’un jardin d’enfants, attendant que les gamins montent dessus.
De fait, c’est un peu ce qu’il se passe. Au sens premier, mais aussi au second degré : car les SUBS programment tout l’été, en complicité avec Julian Vogel, des artistes qui vont se produire sur ou autour de l’installation, créant même parfois des œuvres in situ, spécifiquement faites pour dialoguer avec elle. Au nombre des invités on trouve Mathurin Bolze, qui recrée sa Marche pour en faire un duo qu’il interprète avec Corentin Diana.
C’est un spectacle qui existait donc déjà, mais dont il faut croire qu’il n’avait pas encore tout dit. En se penchant sur l’acte de marcher, Mathurin Bolze… marche dans les pas de devanciers comme Claire Heggen et Yves Marc, qui avaient déjà pris ce mouvement à tort pris pour très ordinaire comme objet de leurs recherches. Ici, la marche se déploie sur les notes des Gnossiennes d’Erik Satie, qui lui imprime comme une légèreté en même temps que de la solennité. Elle est rythmée par les mots de Frédéric Gros, des extraits de la Petite bibliothèque du marcheur préenregistrés et diffusés pendant le spectacle.
Ce qui est singulier dans cette marche qui va jusqu’à se faire course, c’est qu’elle est immobile, c’est aussi qu’elle se fait en partie couché ou en appui sur les mains. Car la scénographie, qui est en même temps agrès, est une grande roue dans laquelle les deux interprètes marchent tels des hamsters, mais qui les autorise aussi à s’abandonner au mouvement de la machine ou à s’y accrocher pour partir dans des loopings qui semblent défier la gravité.
L’attrait du duo est qu’il permet une confusion des rôles – qui sont ces deux hommes, et sont-ils seulement deux, ou s’agit-il des avatars de la même personne qui se regarde marcher et qui commente son propre geste ? Parfois l’un marche et l’autre regarde ; parfois les deux se partagent l’espace de la roue. Dans l’ensemble, le résultat est parfaitement contemplatif, même si des petites accélérations de rythme empêchent le spectacle de s’enferrer dans une mollesse qui lui aurait peut-être nui. Il s’agit tout de même essentiellement d’une rêverie, ce que ne dément pas la chute du spectacle, qui ouvre sur d’autres espaces et d’autres imaginaires.