Le festival Furies se déploie dans les rues et les parcs de Châlons-en-Champagne en ce moment et jusqu’au 8 juin. Programmation qualitative, dont le clou est peut-être bien le spectacle Cloche, un objet spectaculaire difficilement classable, à la fois concert extraordinaire et spectacle de magie circassienne épatant, non dénué d’humour.
Difficile d’écrire sur Cloche de l’Association des Clous – Rémi Luchez, mais s’il devait y avoir un coup de cœur dans ce début de festival Furies, ce serait lui. Difficile d’écrire, d’une part parce qu’il ne faut pas trop en révéler : une bonne partie de la délicieuse fascination que l’on éprouve devant le spectacle vient de trucages, d’illusions d’optique, de tours de magie – on les appellera comme on voudra – qui créent des surprises toujours renouvelées, et on aurait mauvaise conscience de gâcher le plaisir aux futur⸱es spectateurices. D’autant qu’on a promis de ne rien dire. « On » : tout le public de cette première représentation à Châlons-en-Champagne. D’autre part parce que la proposition n’est pareille à aucune autre – et quel bien cela fait ! – mais cela rend la description d’autant plus ardue.
Cloche, c’est à la fois un concert absolument épatant et un personnage un peu lunaire et un peu seul, qui se livre à des activités un peu mystérieuses sans s’inquiéter du fait que la gravité ne semble avoir qu’une prise très relative sur lui. Trois musicien⸱nes qui enchaînent les morceaux avec talent et générosité, une présence collective qu’on qualifierait de solaire, et à côté un personnage muet, apparemment isolé seul dans un univers blanc qui doit être le Grand Nord, pas inexpressif mais certainement pas dans le même registre d’émotions que ses trois voisin⸱es.
Deux espaces scéniques sur le même plateau, deux univers qui contrastent violemment mais qui ne sont cependant pas hermétiques l’un à l’autre, du moins pas tout le temps. Parfois le personnage de Rémi Luchez danse sur la musique ; parfois aussi il s’inscrit complètement en décalage par rapport à ce que font ou disent les trois musicien⸱nes. L’effet produit est étrange. Tout dans ce spectacle est déconcertant. Les musicien⸱nes sont-iels dans la tête de Rémi Luchez ? Les entend-t-il de loin ? Qui est-il au juste ? Impossible à dire. Ce qui ne fait qu’ajouter au mystère.
Mais on peut en tout cas affirmer que la rencontre des deux univers produit quelque chose d’épatant. Et que chacun pris individuellement ne l’est pas moins. La musique, mélange de reprises et de compositions, est due au talent combiné d’un trio – Agathe Pitarch, Camille Perrin et Lola Calvet, il faut les nommer – à la créativité débridée et aux goûts éclectiques. Rémi Luchez dans le rôle, ce type sans nom et sans parole, en survêtement blanc et toque de fourrure, le regard perpétuellement perdu, perché – à tous les sens du terme – au milieu d’un plateau assez vide, est absolument génial. Dommage qu’à force d’utiliser ses tours il finisse par permettre d’en deviner le fonctionnement – on aimerait vraiment rester suspendu⸱es dans cet état de délicieux vertige, à ne pas comprendre comment tout cela est possible.
Un spectacle qui ne ressemble à aucun autre, un vrai moment de plaisir qui voit se mélanger des émotions dont on n’aurait pas cru pouvoir les éprouver en même temps. À voir, définitivement !
Visuel © Philippe Cibille