« Ceramic Circus » : mariage réussi du cirque et de la céramique

Qu’est-ce qui fait le cirque ? Est-ce la prise de risque ? Est-ce la prouesse ? Est-ce la tension qui naît de la possibilité de l’accident ou de la chute ? Ces questions traversent le cirque contemporain, et les créateurices jouent avec, les prennent frontalement ou au contraire à rebrousse-poil, et le résultat est souvent passionnant. C’est le cas avec Ceramic Circus, qui y ajoute en outre une dimension poétique subtile, mais certaine. Julian Vogel, artiste qui a plus d’un tour dans son sac, est, entre autres, un passionné de céramique, et l’une de ses singularités est qu’il crée ses propres agrès de cirque à partir de cette matière. Il en faisait des diabolos dans un précédent spectacle, il en fait ici d’autres objets-complices.

Dès lors, la fragilité se déplace du corps humain vers l’objet : le risque de la casse ou de la chute concerne tantôt une sphère en céramique, tantôt des assiettes mises en rotation au bout d’une canne. Il y a quelque chose de l’ordre de l’équilibre, mais d’un équilibre dynamique, qui repose sur la cinétique, c’est-à-dire sur le mouvement : la sphère tient à 2 mètres de hauteur, car elle est mise en rotation au bout d’un câble tout autour de la piste circulaire par un moteur attaché dans les cintres ; les assiettes tiennent parce qu’elles tournent au bout de leur canne. Que ces objets se brisent est inévitable, sur le temps long ; Julian Vogel en joue, il met soigneusement en scène la destruction et le chaos – au besoin avec de faux accidents – et la piste blanche se couvre d’éclats à mesure de l’avancée du temps.

Un cirque d’objet qui réinvente le risque

Pour autant, Ceramic Circus s’enracine clairement dans le cirque. Il ne s’agit pas uniquement de la reprise du motif de la piste circulaire – néanmoins conçue pour être posée sur un plateau, avec un public disposé dans un gradin en frontal. Il y a d’abord un coup de main à avoir pour mettre les assiettes en équilibre, et régler les moteurs qui vont les maintenir en suspension. Il y a ensuite un véritable risque corporel, à jouer sur cette piste autour de laquelle une sphère de céramique au poids peu négligeable décrit des rotations à toute allure. Il y a même une course-poursuite absurde organisée entre cette même sphère et l’artiste juché sur un vélo dont tous les mécanismes ont été montés à l’envers.

Ce dernier exemple n’est qu’une des manifestations de l’humour qui sous-tend toute la proposition, qui emprunte un mécanisme classique du clown : se mettre le plus possible en difficulté, ce qui crée les conditions de l’accident. Que ce soit en multipliant les assiettes à maintenir en rotation, en couvrant l’espace de câbles électriques sur lesquels on ne peut que trébucher, en s’astreignant à appuyer sur des boutons-poussoirs disposés tout autour de la piste ou à frapper des cymbales dispersées sur tout l’espace du plateau, Julian Vogel fait monter la tension en accélérant le rythme et en frôlant délibérément la catastrophe. Le public ne s’y trompe pas : les chutes provoquent le rire, qui est le contrepoint du suspense.

Ceramic Circus installe sa poésie contemplative au milieu du chaos

Là où Ceramic Circus trouve sa poésie, c’est qu’il installe imperceptiblement le calme au sein de ce chaos et de cette précipitation. Une fois tout détruit, une fois toutes les assiettes en équilibre et tous les moteurs lancés, Julian Vogel peut se poser et contempler sa propre œuvre. Le spectacle installe plusieurs de ces temps contemplatifs, où il ne se produit plus rien de nouveau, le mouvement se répétant possiblement à l’infini. Dans ces moments, on oublie la possibilité de la chute, on oublie la tension, pour entrer dans un autre espace d’attention ; au lieu d’être dans l’expectation de l’accident futur, on glisse dans la contemplation hypnotique d’une situation qui se répète en boucle.

Avec Ceramic Circus, Julian Vogel signe un spectacle singulier, intelligent, ludique, qui renouvelle la prouesse circassienne en la transportant ailleurs. Le rôle central de l’objet dans ses propositions le rend très indiqué sur la scène d’un Centre national de la marionnette. On attend avec impatience la prochaine création de cet artiste qui a encore toute une vie de création devant lui.