Morceau de cirque-plaisir que ce Bluff ! proposé par la compagnie 100 Issues. Un spectacle théâtralisé, multidisciplinaire, où la dominante n’est pas tant le cirque qu’une énième déclinaison autour du rapport au risque et son pendant, le désir de sécurité. Recette éprouvée mais qui fonctionne ici parfaitement bien, justifiant largement sa programmation en soirée par le festival Le Mans Fait Son Cirque.
Les 100 Issues proposent un cirque décomplexé, punchy, qui donne envie de sourire, ou de danser, ou de faire la fête, c’est selon, mais en tous cas qui n’incite pas à bailler. Du qui déménage, du qui envoie de l’énergie, du qui se veut un peu punk et anticonformiste tout en restant finalement dans les limites d’un spectacle auquel on peut emmener son·sa petit·e cousin·e sans souci.
Le fil rouge de Bluff ! est la prise de risque, ou le rapport au danger, dont l’explicitation sur un mode clownesque donne lieu à un beau monologue de Pauline Bourguère détaillant des vérifications de sécurité faites tous les deux ans et demi et le passage d’une commission de sécurité pas très regardante. Mettre en scène la prise de risque, l’outrer, s’en moquer, rendre le public à la fois témoin et complice, c’est une recette éprouvée pour un spectacle de cirque, mais Bluff ! prouve – s’il en était besoin – que c’est parfaitement efficace, et drôle, quand c’est bien assumé.
Sous la tente du chapiteau, le spectacle semi-frontal est joyeusement bordélique, au bon sens du terme. D’une part parce que la troupe entretient un constant bazar sur scène et dans les airs, dans une profusion joyeuse d’objets, d’agrès, d’instruments de musique, de présences diverses qui se télescopent. D’autre part parce que le spectacle mêle avec un joli sens du rythme et du dosage les interventions des acrobates, des clowns, des musicien·nes, des danseur·euses, des technicien·nes, tous ces rôles étant au final assez fluides.
Il y a beaucoup de numéros pas du tout circassiens, mais gentiment bouffons. Il y a beaucoup de musique jouée en direct par des interprètes qui ne manquent pas de maîtrise. Il y a des astuces visuelles drôles parce que branlantes mais complètement assumée. Bluff ! ne se prend pas la tête, non plus qu’il ne se prend pour ce qu’il n’est pas. Il y a des petits creux – toujours suivis d’une reprise – et la performance circassienne n’est pas à la pointe de la technique, mais ce n’est pas grave, parce que ce n’est pas l’intérêt de la proposition. L’un des numéros les plus enthousiasmants est une traversée du chapiteau par Laurie Roger, qui se lance dans des acrobaties assistées à l’horizontale, une sorte de crowd-surfing en demi-cercle autour des gradins, portée par le public : cela ne demande pas une maîtrise corporelle hors normes, mais c’est culotté, spontané, d’autant plus désopilant que l’artiste a une sacrée répartie.
L’élément scénique central, machine de cirque encombrante, mais prétexte à jouer plutôt bien exploité, est une sorte de gigantesque culbuto surmonté d’un plateau circulaire tournant qui doit bien chercher dans les six mètres de diamètre. Initialement attaché en hauteur – Bluff ! joue globalement beaucoup avec les accroches… et avec la possibilité qu’elles cèdent – il est très vite posé au sol, parfois bloqué en position inclinée, parfois en équilibre instable, avec de belles scènes de groupe, dans des recherches de point de suspension qui ne sont pas sans rappeler un artiste de cirque qui ne se gêne pas lui-même pour faire quelques emprunts.
Le spectacle réussit à bien l’utiliser, autant qu’il réussit également à ne pas tomber dans le piège qui consisterait à ne tourner qu’autour de lui. Il finit donc poussé sur le côté, dans une configuration moins qu’idéale, mais c’est le prix à payer pour pouvoir investir l’espace central avec d’autres propositions. Un peu de trapèze, un peu de sangle, un peu de mât chinois, de la danse, beaucoup de musique pêchue, et surtout beaucoup d’un grand n’importe quoi joyeux et assumé : Bluff ! ne révolutionne pas le cirque contemporain, mais il offre l’occasion d’une belle soirée qui fait sourire et regonfle le moral, et c’est précieux par les temps qui courent.
Visuel : © Baptiste Goulay