C’est une idée intéressante qui est mise en œuvre dans Axis Mundi de la compagnie ISI (Lucas Struna), programmé en ouverture du festival Le Mans Fait Son Cirque : mettre des danseur·euses circassien·nes dans un musée et les faire dialoguer avec l’espace. Quatre acrobates passent de salle en salle dans le Musée de Tessé, suivis par le public coiffé de casques.
On se dit que cela commence très bien : l’un des interprètes, mêlé à la foule assemblée dans l’une des salles du musée, se détache pour s’approcher d’une des toiles. Au creux de l’oreille, une voix grave nous glisse une citation de Duchamp sur le rôle du regardeur face au tableau. Pendant ce temps, le circassien imite les postures des personnages des tableaux.
On se dit que l’idée est bonne, que le rapprochement de l’esthétique du corps circassien mise en parallèle avec l’esthétique propre à la représentation classique du corps dans les Beaux-Arts va produire quelque chose de significatif d’un côté comme de l’autre. Que l’on va même découvrir quelque chose des poses parfois exagérées des tableaux et sculptures. Certes, cela a déjà été fait, mais cela n’exclut pas que l’œuvre soit qualitative.
Mais il s’agit d’une fausse piste, car Axis Mundi est un spectacle de commande, conçu pour être représenté dans n’importe quel musée ; c’est un hasard s’il est présenté ici dans un espace où les circassien·nes sont confronté·es à des représentations naturalistes d’humain·es. Au final, le spectacle tourne en vase clos, complètement coupé de la réalité vivante du lieu : prisonnier des casques et d’un parcours très contraint, le public est baladé dans les espaces qui ne semblent que traversés, à l’exception des quelques occasions où la recherche d’un mouvement vers le haut semble enfin inscrire le spectacle un tant soit peu dans les volumes du lieu.
Il n’y a pas de dialogue avec les œuvres exposées : on joue devant, on passe devant, il pourrait ne pas y avoir un plâtre d’une sculpture de Bernini dans la salle que cela ne changerait rien à la proposition… et, on a beau savoir que ce n’est pas ce qui est recherché, on ne peut pas faire autrement que de se dire que c’est dommage. On est pas loin d’avoir le sentiment que ce spectacle pourrait presque être présenté n’importe où, un collège, des bureaux à La Défense, qu’importe. Le lien avec l’Histoire de l’Art – plus qu’avec le monde muséal – ne se fait que par le biais du commentaire fleuve, un tantinet pédant, qui se déverse dans nos oreilles sans nous laisser beaucoup de respirations.
On a tout de même quelques belles idées qui citent l’univers du musée : un détournement de la vitrine sous forme d’une boîte en plexiglas dans laquelle viennent se contorsionner deux des interprètes, et surtout une station à la scénographie faite de quatre piédestaux, posés au milieu d’une salle, qui permettent de construire des images fortes avec des acrobates qui enchaînent les équilibres avec une lenteur empreinte de solennité.
Ces quatre circassien·nes, qu’on sent à peine sorti·es d’école, sont fortement attachant·es, et abordent la proposition avec une application peut être un tantinet trop sérieuse. Pas toujours parfaitement ensemble, iels construisent cependant de beaux regroupements quand il s’agit d’engager leur corps dans des portés autour d’un mât. À mesure qu’iels gagneront en aisance, en fluidité, en capacité d’être en lien avec le public, quelque chose de très beau pourrait se tisser dans le rapport artistes-public.
On retient de cette « exposition vivante », avant tout, cette fraîcheur des interprètes, renforcée par les témoignages qu’iels ont livré.es au micro pour qu’ils soient diffusés à mesure du spectacle. Mais on ressort avec le sentiment que l’ambition affichée par Axis Mundi, engager l’environnement muséal, n’a pas encore trouvé sa formule magique.
Visuel : Thomas Brousmiche