Dans le cadre du Festival Off d’Avignon, Romane Kraemer présente Celle qui au Théâtre des Lila’s, un plateau dédié aux autrices. Ce seule-en-scène vibrant, mêlant théâtre, musique et introspection féminine, est à découvrir chaque matin à 10h30 jusqu’au 14 juillet (relâche les mercredis).
Romane Kraemer nous fait voyager dans le temps avec son seule en scène Celle qui. À travers les traits d’une jeune mère débordée qui s’est oubliée complètement, elle nous plonge dans ces questionnements intemporels autour de la condition féminine avec force, et c’est saisissant.
Nous voici dans l’intimité de ce qui semble être la chambre d’une femme : table de chevet, dressing, fauteuil, coiffeuse, et poster sur chevalet de Billie Holiday en avant. Romane Kraemer, en peignoir, se prépare pour aller au travail sans prêter attention à son public. Ces appartements aux tons rétro-vintage nous donnent cette impression de nous trouver à une autre époque. Des années 50 aux années 60, nous suivons cette femme dans chaque étape de sa préparation : coiffure, maquillage, manucure et habillage, un air de jazz dans les oreilles. L’utilisation d’un smartphone, contrastant avec le décor, nous ramène à notre réalité — la réalité d’une femme — comme un indice de son intemporalité.
Une fois prête, chignon bien serré, chemisier et tailleur, alors qu’elle s’apprête à sortir, survient le « drame de la clé ». La voilà enfermée chez elle, sans possibilité d’aller au travail.
Commence alors une rétrospective de vie : celle d’une femme, jeune mère — peut-être mariée, peut-être simplement concubine — épuisée, oubliée d’elle-même.
L’élévation d’une voix qui s’est tue pendant trop longtemps. Et c’est puissant.
Romane Kraemer, à l’origine de l’écriture et de la mise en scène de ce spectacle, nous impressionne dans ce seule en scène. Elle occupe l’espace, nous transportant dans un torrent de pensées qui nous amène à nous questionner à notre tour. Dans ce petit espace qu’est sa chambre, elle revient sur l’essence féminine et les enjeux auxquels elle doit faire face.
Une charge mentale explosive qui transparaît aussi bien dans le texte que dans le jeu de la comédienne.
Tandis qu’elle s’exprime et cherche à comprendre quand l’étincelle s’est éteinte, elle range chaque recoin de la chambre. Ses gestes, devenus mécaniques, semblent dictés par son corps plus que par sa volonté.
En commençant par tenter de se remémorer où sont passées les clés — prises par son conjoint qui lui laisse l’appartement seule pour « réfléchir » après une énième dispute — elle finit par tenter de se souvenir à quel moment elle s’est perdue. Comment en est-elle arrivée là ?
« Comme si la vie avait décidé à [sa] place ».
Ensemble, nous explorons des souvenirs d’enfance et la voyons retrouver une certaine étincelle en évoquant son amour pour la chanson qu’elle a pourtant abandonné. Pas complètement : avec son lecteur CD, elle nous transmet sa passion à travers des titres de blues et de jazz que nous écoutons avec elle, alors qu’elle pousse un coup de gueule contre le patriarcat. Ce système qui pousse les femmes à être « sages », à se « domestiquer », à être belles et présentables, « à se taire alors qu’elles ont vraiment quelque chose à dire », contrairement aux hommes.
Celle qui, c’est un burn-out, un ras-le-bol qui prend la plus belle forme sur scène. Entre jeu, musique et chant, Romane Kraemer délivre une performance intense qui vient nous attraper en plein cœur.
Au fil de son monologue, la protagoniste se libère des injonctions patriarcales : elle danse, chante, s’émancipe. Sa longue chevelure, comme elle, s’émancipe de ce chignon contraignant. Sa chemise, délivrée de ce tailleur, tombe de son long. Sa chambre, initialement rangée puis peu à peu mise sens dessus dessous, traduit cette volonté de tout déconstruire pour mieux se reconstruire. À ce moment précis, elle n’est plus soumise, elle n’a plus à se taire, elle ne joue plus de rôle.
Comme Janis Joplin qu’elle admire — cette chanteuse de soul des années soixante qui a refusé de se plier à ce que la société attendait d’elle —, elle se révolte.
Tandis que sa voix rejaillit avec une urgence touchante après tant d’années mutiques, c’est comme si elle portait celles de bien d’autres qui, comme elle, ont été réduites au silence.
Beaucoup de femmes verront ce spectacle comme un miroir réfléchissant leur propre réalité. Un sourire ironique aux lèvres, nous sommes à notre tour assaillis de questionnements qui, peut-être, nous ont déjà traversé l’esprit à plusieurs reprises. Celle qui est un cri de femme, intime et universel.
Avec ce spectacle librement inspiré de Femmes qui courent avec les loups de C.P. Estès, et la complicité artistique d’Amélie Armao, Romane Kraemer nous tient en haleine durant toute une heure et devient Celle qui attrape notre cœur.
Celle qui écrit, joué et mis en scène par Romane Kraemer jusqu’au 14 juillet à 10H30 (relâche le mercredi) au Théâtre des Lila’s dans le cadre du Festival d’Avignon Off.
Le Festival d’Avignon se tient jusqu’au 26 juillet. Retrouvez tous nos articles dans le dossier de la rédaction.
Visuel : ©Romane Kræmer dans Celle qui. © Stéphane Benchimol