« Ceci n’est pas une religion » : un seule-en-scène journalistique hilarant

Un superbe seule-en-scène

Qu’est-ce que la journaliste Elodie Emery nous présente ? Elle décrit son spectacle comme un « seule en scène du réel ». Un terme qui pourrait convenir à cet objet insaisissable à mi-chemin entre le stand up, le seule en scène et le one woman show. Tout comme la salle Boris Vian qui se prête à tous les genres scéniques.

Une chaise haute, un pupitre sur lequel la journaliste pose ses partitions—c’est-à-dire son texte—, un écran. Voilà les accessoires d’Elodie Emery. Un décor épuré très efficace car il permet au spectateur.rices de se concentrer sur la seule présence scénique et les mots de la journaliste. Le costume est, lui aussi, très épuré, mais un peu plus travaillé. Fun et moderne à son image: des bottines à talons blanches, une veste de costume grise, une chemise toute simple et un legging noir métallique—le legging qui joue un rôle dans ce seule-en-scène et qui semble être l’emblème de la journaliste.

Une journaliste sur les planches

Dans un entretien accordé à Mélanie Drouère pour La villette, Elodie Emery le revendique, elle n’est pas actrice et ne cherche pas à l’être : « je ne joue pas, je raconte. […] je suis la journaliste qui vient partager un dossier. » Dès le début de ce seule-en-scène, le public est prévenu : « Je ne suis pas comédienne. Pas comédienne du tout. » Parfois elle se trompe, butte sur un mot. Dans une mise en scène classique avec des comédiens professionnels, les erreurs amèneraient le spectateur.rices à s’interroger sur l’authenticité de la présence scénique du comédien. Ce n’est ici nullement gênant. Au contraire, cela renforce la véracité de sa présence. Finalement et à son insu, Élodie Emery porte sur scène une idée Marivaudienne du jeu qui valorise les lapsus, les erreurs, donnant l’impression que l’acteur s’abandonne au sentiment de son personnage. « Il faut que les acteurs ne paraissent jamais sentir la valeur de ce qu’ils disent ». C’est exactement ce que la journaliste s’attache à faire avec ce ton enlevé qu’elle « a toujours aiguisé ». Qu’elle évoque des violences sexuelles ou de leggings roulés en boule dans le placard qui change la vie, Élodie Emery conserve, tout au long de sa performance scénique, ce même ton détaché qui créé l’ironie.

À la manière d’une rappeuse, le journaliste balance ses punchlines. Certaines sont déjà cultes : « Eve, une femme-tronc que Dieu se garde sous le coude », « Le Dalaï-Lama m’a bloqué sur WhatsApp », « On va tous mourir ».

« Le journalisme a changé ma vie »

Ce « seule-en-scène du réel » nous est présenté comme une enquête journalistique portée sur scène par la journaliste elle-même. Pendant près de 10 ans Elodie Emery a enquêté sur les sévices que le maître bouddhiste et auteur du Livre tibétain de la vie et de la mort, Sogyal Rinpoché, à perpétré sur ses disciples. Elle le présente comme un leader charismatique et abusif pourtant très proche du Dalaï-lama dont on apprend avec humour que le nom signifie « Océan de sagesse ». C’est en réalité tous les abus perpétrés dans la religion bouddhiste en général que la journaliste a révélé. Un « océan de sagesse » tâché de violences.

Mais le seule-en-scène—on peine à ne pas dire pièce— narre en réalité la trajectoire d’Elodie Emery. De cadre chez L’Oréal en quête de sens à journaliste épanouie en passant par chômeuse professionnelle.

Le titre, Ceci n’est pas une religion, ne semble pas faire seulement référence au bouddhisme que le spectateur.rices sait être le sujet de ce spectacle. Le titre ferait aussi référence à la quête de sens de la journaliste qui dès l’âge de six ans interroge sa mère-celle-ci désemparée-sur l’absurdité de l’existence. Que faire de ce temps qui nous est imparti ? Ce n’est pas la religion qui a apporté une réponse à la jeune femme mais le journalisme.

Le développement personnel sert de cadre à ce spectacle et se trouve être—avec le ton enlevé—le principal atout ironie de la journaliste.

Ceci n’est une religion un seule-en-scène très réussi qui n’a pas manqué de nous séduire.