Cabaret La Barbichette – Un goût d’immensité

Stars et habitués se prennent un verre au bar, y’a du beau monde dans la chaufferie. Et comme il se doit, pour une épopée nocturne fantastique, avant le spectacle, c’est déjà un voyage. Une « voix de connasse », (Luce Gaston)  esprit espiègle et ravageur, nous guidera durant toute la soirée. Délicieuse mise en bouche, nous sommes sur Radio Barbichette (invité surprise, flash infos, tout y passe). La fantaisie est palpable. « Le cabaret est une jungle ! Lève ton verre au chaos total ! » Et c’est parti… 

En introduction, le maestro Mr K accompagné de l’irrésistible Leonardo Handicaprio  grimé en clown (qui n’est autre que Ivandros Serodios qui nous a volé notre cœur lors du dernier spectacle « La vie est une fête » des chiens de Navarre), s’emparent de la célèbre « Alabama song » (initialement écrite par Bertolt Brecht et traduite par Elisabeth Hauptmann). Excellent choix, ils mettent immédiatement tout le monde d’accord. Le premier rang se prend une faciale de « crachats serpentins » en toute élégance. What did you expect ? 

Vient alors Patachtouille qui, pour sa première apparition, fait danser son âme à coups de poèmes de l’instant, de son cru. « Mes yeux sont de la couleur des huitres » articule-t-il d’une voix sincère et mutine. Ou encore « Le porno efface la beauté », « Mon cœur déménage vite », « Mes aisselles sont un lieu de soulèvement ». Il sort de scène entièrement nu, corps et âme. Nous aussi. 

Depuis notre entrée dans le cabaret, un artiste est sur scène, se transformant aux yeux de tous, c’est le génial David Noir. Tandis que Barbara Carlotti nous livre un extrait (pop aérienne) de son nouvel album « Chéris ton futur », ce dernier enfile un costume digne du Ku Klux Klan, et son tour arrivé, il s’avance vers le micro, entamant les premières strophes des « Neiges du Kilimandjaro ». D’une intensité rare, David Noir va loin ce soir dans la convocation d’images et d’émotions fortes, brossant dans le sens inverse du poil. De la provoc salutaire, du grand cabaret ! Ma voisine de table zieute les pompes du performeur, qui se rassoit à sa place sur scène (il ne s’en ira jamais en coulisses durant tout le spectacle), et me glisse : « Les pompes blanches, c’est pour les artistes ou les mafieux, non ? ». Le fantôme de Serge Gainsbourg passe.  

Un nouveau personnage apparait soudain sur scène, c’est Bouche du Rhône, elle est habitée par son rôle d’actrice de doublage qui veut sortir de l’ombre. Elle se lance alors dans une adaptation très personnelle de « Entrer dans la lumière » de Patricia Kaas, elle est hilarante, le public ne peut retenir sa jouissance. Il faut dire que toutes les créatures sont accompagnées par L’oiseau joli à l’accordéon et La Mulette au piano, et qu’ils font ça très bien. On se surprend à les bader, eux et leurs mains qui courent sur leurs instruments, passionnément. Les deux excellents musiciens donnent aussi de la voix et l’émotion est au rendez-vous à chaque partition nouvelle. 

Monsieur K, grand seigneur annonce la pause. Mais ce n’est pas vraiment un entre-acte, car il se murmure que Leonardo Handicaprio va donner une performance au balcon. Je ne risque pas de louper ça ! Je me faufile, guidée par le son d’un orgue, et quand j’arrive, Handicaprio est de dos, dans un costume lamé, décor irréel de chœur des chantres, face à des bougies posées sur l’autel à la gloire du regretté Claude François. Le délire va commencer et ça va partir très loin. Durant un quart d’heure, le performeur va invoquer la mémoire du chanteur, sur un ton digne des grandes messes gospel « Qui n’aurait pas envie d’un lundi au soleil ? » clame-t-il d’une voix caverneuse. Le public ne sera pas épargné par l’eau bénite, et même les Claudettes vont débarquer comme dans un rêve… Handicaprio donne tout : du déhanché, de la voix, de l’esprit divin. Et nous voilà à nous trémousser, à nous dire des « Je t’aime » main dans la main… Un acteur mystique pour une expérience mythique ! 

Le deuxième acte sonne, les oiseaux de liberté vont regagner la scène, encore plus grandioses. Il y aura un duo de nains, nus sous leurs tabliers les inoubliables Patachtouille et Jeanne Plante, Barabara Carlotti nous chantera « L’Amour à plusieurs » et on l’aimera à plusieurs en retour, Bouche du Rhône nous clouera sur place avec son « Make French Cabaret Great Again » (toute ressemblance avec un personnage existant est un pur hasard bien entendu), sans oublier Mr K chaussé d’une paire d’escarpins rouges et d’une robe assortie, qui ne nous refusera rien, entamant un « Pourvu qu’elles soient douces » d’anthologie, option medley et jeu de jambes !  

Vous reprendrez bien un peu de cabaret ?  David Noir est là sous nos yeux à souffler dans ses deux poupées gonflables avec soin, et pourtant… Il fallait être dans la salle ce soir pour voir la façon dont il se mit à les rosser de coups, endossant le rôle difficile de l’homme violent et misogyne, le tout au son de « Il tape sur les goudous » (Philippe Lavil n’avait qu’à bien se tenir). Un exercice sur le fil, parfaitement réussi pour ce grand artiste équilibriste. Et qui résume l’esprit de ce Cabaret Barbichette: de l’audace, du talent polymorphe, à contre-courant, saupoudré de chansons, de barbes à paillettes dorées, et du silence éternel entre deux notes… La Barbichette, un goût d’immensité. 

*Célébration artistique unique et modulable à souhait, vous ne verrez jamais deux fois le même cabaret…