« Black lights » : des rochers et des corps de femmes
par Lou Valette06.10.2025
Le 2 et 3 octobre, la chorégraphe Mathilde Monnier embrasait la scène de l’Espace 1789 avec son spectacle dansé, Black Lights. Après une tournée prospère dans toute la France, la chorégraphe et ses 7 danseuses et comédiennes débarquent l’Agora de la danse (Montréal) du 22 au 25 octobre. Un spectacle à voir absolument.
Au départ, il y a H24, 24h dans la vie d’une femme, un livre publié en 2021. 24 faits réels subis par des femmes, ont inspiré 24 écrivaines internationales, dont Lola Lafon. Ensuite, il y a la série poignante, H24, diffusée sur la plateforme Arte. Les textes sont adaptés puis joués par 24 actrices dont Diane Kruger, Souheila Yacoub ou Anaïs Demoustier. Une adaptation qui bouleverse la chorégraphe de danse contemporaine qui dirigea pendant 20 ans le Centre chorégraphique national de Montpellier, puis qui fut jusqu’en 2020, à la tête du Centre national de la danse à Pantin, Mathilde Monnier. Adapté pour la première fois à Montpellier, en juin 2023, la chorégraphe et metteuse en scène est de retour à Paris avec Black Lights.
9 textes de 9 écrivaines qui crient la violence d’être une femme. Qu’est-ce qu’une femme qui marche dans la rue ? Qu’est-ce qu’une femme qui se déplace d’un point A à un point B ? Qui fréquente le monde de la nuit ? Qui se rend au travail ? Qui côtoie des hommes ? Qui vit avec un homme ? Des situations à première vue communes, mais qui, lorsqu’on possède un corps de femme, prennent une toute autre forme, celle de la violence et de l’abus. Black Lights raconte en danse la vie du féminin avec son lot d’agressions quotidiennes.
Une scène en feu
Pas de décors très travaillés pour l’ancienne directrice du Centre chorégraphique national, mais un espace scénique noir, jonché de rochers, éclairé d’une lumière saillante qui s’accentue ou diminue selon les tableaux. Parfois, le plateau brûle, une fumée émane des masses rocheuses. Une scène en feu pour des corps en feu. Des corps habillés de costumes épurés et modernes, à l’image de Mathilde Monnier. Il n’y a pas de similitude dans le costume, chacune se distingue par sa tenue mais toutes sont chaussées de bottines à talons. Des bottines qui les renvoient à leur condition de femme, une féminité que la société patriarcale voudrait « haut perchée ».
Des bottines colorées donc que les interprètes, qui jouent à la fois les victimes et les abuseurs, laisseront tomber pour des baskets quand viendra le temps d’incarner les harceleurs. Alors elles se mettent à siffler, à bugler, à prononcer ces mots routiniers : « tu t’ennuies sans moi ma chérie ? », « Que bella ! », « salope ! ». Et au milieu, il y a celles qui marchent, tentant de garder la tête haute. Il y a celles qui hurlent intérieurement. On remarque néanmoins que la chorégraphe s’engage à aller contre cette croyance, véhiculée par l’extrême droite, qui voudrait que les harceleurs soient pour la plupart des hommes d’origines étrangères. En effet, au milieu des sifflements, la metteuse en scène lance « Je m’appelle Martin et toi ? »
Des interprètes que l’on aperçoit pour la première fois à terre, le corps tordu, désarticulé, aliéné par l’affront quotidien, dans l’intimité comme dans le privé. Des femmes araignées disloquées, les pattes tordues, fragilisées.
Parfois la pièce frôle la comédie musicale. On pense notamment au tableau saisissant, tiré du texte de l’écrivaine Lize Spit, Mon harceleur. Une femme qui marche d’un point A à un point B, doit faire face à un homme au volant de sa voiture, la harcelant. Un tableau non sans nous faire penser à celui de la très célèbre comédie musicale de Leonard Bernstein, West Side Story. La comédienne, Ophélia Segala, aux cheveux courts, se meut sur la scène, tentant d’échapper à son bourreau, le groupe imite ses pas en la sifflant. Une scène qui fait écho au tableau d’ouverture du music-hall, Jet Song.
Des tableaux puissants
Des corps qui se déplacent en communion, qui ne font qu’un ou qui se frappent, sur scène, l’ancienne directrice du Centre National de la danse, jongle entre sororité et combat. Des corps qui s’animent au rythme de leur émotion. Des corps vivants, parfois au bord de la rupture, prêts à se briser, à tomber sous le poids de la violence, du traumatisme quotidien. Des femmes qui luttent et se débattent sur une scène pour pouvoir exister avec leur corps de femme, leur bouche de femme, leurs jambes de femme, leur poitrine de femme, leur sexe de femme. « Gauche droite » cri la danseuse et comédienne, Carolina Passos Sousa. « Gauche droite », elle lutte et se débat. « Gauche, droit, crochet […] Ça c’est mon corps ! ». Il y a celle qui brûle sous les yeux de tous, celle dont la « voix de souris » balance à son employeur un « sourire soumis ». Être une femme, c’est brûler dans une société patriarcale qui ne veut pas d’elle, qui n’a pas été bâtie pour elle. Une société à laquelle elle doit s’adapter mais qui ne prendra jamais sa forme. Les corps des interprètes répondent avec force, joie, tendresse et violence à ce système sociétal.
A la fin de la pièce, face au public, toutes bougent sur le rythme d’une musique électronique et invitent les spectateur.rices à s’emparer elleux aussi de la musique. À prendre possession des vibrations pour qu’elleux puissent également se libérer de ce poids sociétal. Alors les corps se lèvent, se confondent au rythme de la musique et (re)prennent possession d’eux-mêmes, en dehors de tous dictats genrés.
Sur scène, des corps dansants, désarticulés, hurlants, mouvants rendent aux femmes leur droit d’exister et se réapproprient l’espace public. Les corps hurlent et dénoncent des violences sexistes et sexuelles trop souvent banalisées.
La chorégraphe Mathilde Monnier et ses sept comédiennes et danseuses, à cœur ouvert, nous proposent une performance scénique dansée et jouée en une mise en scène enflammée, dans laquelle chacun.e se confond.
Visuel: © Marc Coudrais
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