Ce dimanche, Les Zébrures d’Automne, à Limoges, se terminaient en théâtre avec Fadhila d’Aristide Tarnagda. Une pièce scéniquement aboutie, puissant hommage aux mères luttant à travers les conflits qui désarticulent les liens familiaux.
La pièce raconte l’histoire de Fadhila, une mère de famille qui voit son fils Abdou glisser petit à petit vers le terrorisme. Les manques d’un père qu’il n’a jamais connu et la rudesse de sa mère l’ont fragilisé. Prise elle-même dans la douleur de l’abandon de ce père, elle tente de construire sa vie coûte que coûte, sans imaginer que les blessures d’Abdou qu’elle refuse d’écouter pour pouvoir avancer, serviront de terreau à l’endoctrinement.
Pour raconter cette histoire, le choix de la scénographie est concentré. Un décor minimal composé de quatre blocs de pierre situés aux extrémités et au centre de la scène, qui permettent de jouer différents lieux : la cour de la maison familiale, les rues, l’espace de Madame Gombo – amie et repère de Fadhila, une tribune pour lui permettre de régler ses comptes avec la vie, les camps d’entrainement dans le désert. À travers l’angle de la famille, la pièce parle du contexte plus large du terrorisme en Afrique Subsaharienne. Elle aborde les raisons politiques qui ont amené ces groupuscules à émerger, mais aussi des failles intimes qui poussent les jeunes hommes à s’y projeter.
La force de la pièce est dans ce prisme, car elle aborde tout court la question de la violence, à toutes ses échelles : « À force de recevoir des mots durs, secs et puants à la figure, Adbou est devenu dur […] maman, arrête de jeter des mots durs sur nos faces … », essaye de lui faire comprendre Aziz, son deuxième fils. La pièce n’aborde pas Fadhila que comme une mère dépourvue, mais aussi avec les fêlures qu’elle a créées et dont résultera un adulte brisé et perdu. Au delà du contexte de l’instabilité politique, Fadhila est un texte sur les bases qui nous construisent, sur la complexe question de penser bien faire.
Pourtant, Fadhila est aussi un personnage pilier. La comédienne Safoura Kaboré retranscrit avec justesse cette main de fer dépossédée dans les vents qui déstabilisent tout. Il émerge de son interprétation l’image d’une colonne de pierre, à la verticalité extrêmement solide. Autour d’elles, personnes pour la soutenir, que des fuites : son mari la renie pour vivre loin de l’instabilité politique du Burkina Faso, son fils fuit cette précarité dans le djihadisme. Au milieu, elle ne quitte ni sa famille ni ne tombe dans la radicalité.
La scénographie est accompagnée par l’univers sonore très abouti de Joaquim Pavy. La dernière partie du texte, qui pourrait être resserrée, laisse davantage la place aux introspections qu’aux dialogues, atténuant le dynamisme narratif pour une expression cyclique de la douleur intime.
L’hommage aux mères est un thème qui traverse le fil de ce week-end aux Zébrures. À l’instar de Fadhila, il y a Dô, la mère de Clipping, Prix RFI Théâtre 2025, qui se démène seule entre sa fille et ses traumatismes. Une pièce écrite par Israël Nzila, auteur qui fut l’an passé le lauréat du Prix des Récréâtrales avec Silence au festival éponyme, dont Aristide Tarnagda est directeur. Parallèlement, les publics ont rencontré Bibi dans REKORD, la mère de Philippe, partie par amour en Irak et qui tient sa famille dans l’espoir du déménagement et dans le choix de l’exil, là aussi pour cause de troubles politiques.
©ChristophePean2025
Production Le Bottom Théâtre
En coproduction avec l’OARA, Les Francophonies – Des écritures à la scène, L’Empreinte – Scène nationale Brive-Tulle, le Théâtre National du Luxembourg et le Théâtre de l’Union – CDN du Limousin
En partenariat avec la CITF, le Conseil des arts du Canada, Patrimoine canadien et la Fondation de France
Aide à la création de textes dramatiques – ARTCENA
La compagnie est soutenue par le Ministère de la Culture DRAC Nouvelle Aquitaine, la région Nouvelle Aquitaine, le Département de la Corrèze et la ville de Tulle
Accueil avec le soutien de l’OARA
Accueil en partenariat avec le CCM Jean Gagnant – Ville de Limoges
Texte & mise en scène Aristide Tarnagda
Commande d’écriture du Bottom Théâtre
Avec Romane Ponty-Bésanger, Yaya Mbilé Bitang, François Copin, David-Minor Ilunga, Safoura Kaboré
Scénographie Marie-Pierre Bésanger
Construction décor CDN Théâtre de l’Union – Alain Pinochet, Clément Tilly
Artiste invitée Anne-Marie White
Assistance à la mise en scène Romane Ponty-Bésanger
Musique Joaquim Pavy
Lumières Marco Hollinger
Son Vincent Le Meur
Costumes Martine Somé