Le théâtre du Châtelet, une soirée de restitution, issue d’un dispositif d’accueil développé depuis quatre ans, permet aux compagnies de partager le travail mené au quotidien dans les studios du théâtre. Entre danse contemporaine, hip-hop et croisements de styles, un dialogue singulier s’installe entre les artistes, le public et le lieu.
Conçue spécialement pour le public du Théâtre du Châtelet, la soirée Studio B permet à quatre (jeunes) chorégraphes de présenter des étapes de leur travail en cours. On retiendra surtout l’une des formes, conçue par la franco-marocaine Nawal Aït Benalla.
Avec Ce qui nous traverse, la Compagnie La Baraka propose certainement la proposition la plus aboutie de la soirée, et sans conteste, la plus originale. Certainement parce qu’elle assume de se détacher d’une fiction et qu’elle ose aller au bout d’une recherche qui sans être radicale n’en est pas moins étonnante. C’est, avant tout, une œuvre chorégraphique profondément ancrée dans les questionnements contemporains. Signée par la chorégraphe Nawal Aït Benalla, la pièce s’inscrit dans une réflexion sur notre rapport au corps, au groupe, à l’Autre. Dans ce contexte de mutation accélérée par les diverses technologies. La danse devient un espace de résistance, un lieu où le corps retrouve sa densité, sa virtuosité et sa capacité à faire lien ou au contraire à s’échapper.
La dimension musicale joue un rôle essentiel dans la construction de la pièce. La partition, composée par Nawal Aït Benalla et Olivier Innocenti, et enrichie par l’œuvre de Samuel Barber, accompagne et nourrit la danse avec une grande finesse. Le travail musical est particulièrement réussi : il mêle les styles et les esthétiques, soutenant les variations d’intensité et les états de corps traversés par les danseurs. La musique ne se contente pas d’accompagner le mouvement, elle le traverse, l’influence et le transforme.
La création lumière de Laïs Foulc vient souligner cette recherche d’incarnation. Grâce à un grand écran blanc, les jeux d’ombres et de clartés sculptent les corps dans l’espace. On ne reste pas sans penser au travail de Bob Wilson par exemple en ce sens où le profil des interprètes comptent tout autant que les face public. Accentuant les tensions et révélant les lignes de force des mouvements. Ce qui nous traverse s’impose ainsi comme une pièce forte et cohérente, où la danse devient un langage essentiel pour penser notre époque et réaffirmer la puissance du corps comme lieu de relation et de sens.
La chorégraphie s’appuie sur un mouvement métronomique, répétitif, presque obsessionnel, qui se transforme progressivement. Ce motif initial agit comme une pulsation vitale, un battement commun à partir duquel les corps s’organisent, se désorganisent puis se recomposent. Traversés par des forces contradictoires, les danseurs explorent les tensions entre entrave et liberté, isolement et rencontre, désincarnation et incarnation. La pièce interroge ainsi le rôle individuel et collectif du corps, à la fois comme espace intime et comme territoire partagé.
Le travail chorégraphique, particulièrement intéressant, se distingue par une grande exigence technique. Les danseurs — Élie Fico, Alba Fracchia, Marion Frappat, Alfredo Gottardi et Rachele Pinzan — font preuve d’un très haut niveau de maîtrise, au service d’une écriture précise et incarnée. Leur engagement physique est total, porté par une qualité de présence remarquable. Chaque interprète contribue à la force du collectif tout en affirmant une singularité sensible, donnant à voir des corps vivants, aussi vulnérables que puissants.
Nawal Aït Benalla s’impose comme une chorégraphe que nous prendrons plaisir à suivre.
Visuel : ©Quentin Chevrier