Ce 7×7 Salon chorégraphique, proposé par Emilio Calcagno, immerge les spectateurices dans l’essence de la danse : une recherche constante de liens et de contacts avec ce qui nous entoure.
Sur scène trône un panneau vertical au fond bleu, comme une fenêtre, et devant, une table. Deux chaises se font face. Deux femmes aussi. Une ampoule, suspicieuse, surplombe. Coïncidence avec la météo du moment, il pleut. L’orage gronde même. Assises, dans ce premier tableau, Johanna Faye et Anastasia Korabov se regardent. Par des jeux d’appuis, parfois avec l’aide de la table, elles bougent dans un miroir imparfait, tentent d’établir un contact, mais c’est la tempête et les saccades sont trop brutales. Soumises aux éléments, leurs corps se délient comme la mer et le vent, sans jamais parvenir à se toucher, trop agités, trop houleux, comme la lumière qui les domine. C’est dans son ombre que les deux silhouettes se rapprochent le plus, tendues, puis s’arrachent, submergées.
Plus les tableaux se succèdent, plus on comprend où l’on va. Le fond bleu et l’ampoule se sont envolés et ont laissé place à un salon, au sens littéral du terme : tapis, canapés, lampes, verres, et piste de danse. Comme en soirée. Les duos se succèdent, tous liés par des intermèdes de groupe, et bien souvent les onze protagonistes restent sur scène, ce qui renforce le dispositif d’immersion dans une soirée.
On observe des couples, ou du moins des duos, qui se cherchent, se jouent, se courent après, comme dans ce troisième tableau, qui prend des airs de romcom. Posés sur un canapé, Johanna Faye et Sylvère Lamotte entre dans un slow contemporain, assis dans les hanches, gorgé de danse-contact et de portés en légèreté – on regrette d’ailleurs la reproduction de celui de Dirty Dancing qui, s’il est magistralement exécuté, apparaît presque grossier au milieu de tant de pureté. Cette finesse se retrouve dans le cinquième tableau, qui convoque une nouvelle fois Sylvère Lamotte, mais cette fois-ci accompagné de Lucie-Mei Chuzel. Après les débuts de l’amour, place à la tension de la fin, au temps qui passe. Les bras des danseureuses se tendent vers les horizons, et ce qu’iels tracent, c’est une traversée. Le sol est présent, lourd, comme les portés, si délicats, mais si emplis d’une symbolique de poids. Parfois les sentiments sont lourds à porter.
Comment fait-on quand l’autre n’est plus là pour nous soutenir ? Qu’est-ce qu’un porté sans partenaire ? La chorégraphie d’Olivier Dubois et Sylvain Bouvier, située au milieu de la soirée, est comme un trait d’union. Elle convoque les onze danseureuses, toustes face à nous, dos à un écran où défilent des plans vidéos de la vie émotionnelle qui lie les deux hommes, de la première rencontre dans la rue aux jeux de cartes sur le lit. « Miss You » des Rolling Stones gueule dans la salle. L’union est folle. Puis, peu à peu les rangs se vident, Olivier et Sylvain sont côte-à-côte, chacun habité par une course dansée effrénée mais sur place. On dirait qu’ils se sont manqués, et qu’ils se manquent, qu’ils s’agitent sans arriver à se rattraper. Sans savoir pourquoi on sourit, peut-être parce qu’ils avaient l’air heureux dans le film, et que courir après, on l’a toustes déjà fait, et que comme les autres on a fini par abandonner et on est retourné s’asseoir.
Ces duos rappellent que la danse est une question de lien, de contact. Comme en soirée, on voit des gens se succéder sur la piste, avec leurs histoires et leurs styles, avec leur universalité. Ces chorégraphies nous disent que l’on est toustes pris.es dans une ronde qui a bien peu de sens mais tant de sentiments, qui a un rythme aussi beau que douloureux, qui peut être légère et envolée comme cassée et essoufflée. C’est ce que conte le dernier tableau, de Leïla Ka et Ari Soto. Iels tournent sur un pas de deux en ritournelle à en devenir ivres dans leurs jupes bohèmes, mais iels vont danser jusqu’à la fin de l’amour.
La danse est une chose sérieuse si elle s’autorise à ne pas se prendre au sérieux, à rire d’elle et de ses couleurs, de ses tendus comme de ses flexs. Voilà la leçon qui nous est donnée par Andrea Coastano Martini et Béryl de Saint-Sauveur avec humour, voix d’IA, justaucorps peu saillants et gimmicks irrésistibles. En somme, danser c’est aussi jouer ensemble ! Iels se moquent d’eux, de leur discipline et de notre regard. Les sept saynètes qui nous sont proposées sont dignes de véritables acteurices, preuve qu’une danse s’interprète plus qu’elle ne s’exécute, qu’elle vient des tripes, qu’elle se cherche et se joue.
Les trouvailles les plus innovantes de la soirée résident d’ailleurs dans les interactions de jeu comiques. Andrea Coastano Martini et Béryl de Saint-Sauveur et leur danse clownesque arrachent des rires d’une stupeur enfantine, comme si tout un chacun se revoyait faire le zouave lors d’un spectacle devant la famille. Ce jeu est aussi au cœur du duo entre Rosalba Torres Guerrero et Kyril Matantsau. Perché.e.s sur des talons, un jeu du chat et de la souris s’opère, sensuel et adolescent, bercé de air-guitare et de fuis-moi je te suis.
Cette œuvre de sept toiles est pleine de tendresse et de pluriel, comme une fête emplie d’invité.es. La nuit gronde désormais et la musique envahit l’espace. Toustes ensemble, après s’être mutuellement regarder pendant une heure, iels prennent possession de la piste dans un ballet faussement désorganisé. Iels tricotent des morceaux des sept tableaux, présentant un patchwork parfait et jouissif des différents modes de relation exploré ; du porté à l’imitation en passant par le miroir, la danse contact, la pure observation. Une leçon de danse et de vivre ensemble !
7×7 Salon chorégraphique de Emilio Calcagno, Ballet de l’Opéra Grand Avignon – Au Théâtre du Rond Point du 9 au 12 octobre 2024
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