Athénée Louis Jouvet : Rions et jouons avec « le Petit Faust » pour une soirée sous le signe de la décontraction.

L’art de la parodie

Quand Hervé compose son « Petit Faust », le « grand » Faust de Gounod a dix ans et est déjà très célèbre dans le monde lyrique de l’époque. Mais on aime aussi à s’amuser à Paris et la tradition des parodies bat son plein lors de la création de cet opéra-bouffe en trois actes et quatre tableaux sur un livret très drôle de Hector Crémieux et Adolphe Jaume, au théâtre des Folies-Dramatiques, le 23 avril 1869.

Hector Crémieux a déjà à son actif une participation aux livrets de nombreux succès d’Offenbach, notamment le célèbre Orphée aux enfers mais aussi ce Robinson Crusoé qui triomphe en ce moment même au Théâtre des Champs-Élysées.

L’un de ses premiers pastiches, avait été « l’enfant trouvère », une parodie du Trouvère de Verdi qu’il avait écrit pour l’une des multiples fêtes mondaines organisées par Offenbach.

L’insolence des situations et des dialogues eux-mêmes, témoignent de la verve dont pouvaient faire preuve les écrivains en ce temps et, si le spectacle proposé à l’Athénée Louis Jouvet rajoute quelques échanges modernisés pour s’adapter à l’esprit de la parodie, l’essentiel est conservé.

On citera quelques pépites telles que « Valentin : quand le militaire part à la guerre, il embrasse son père/Le chœur : et s’il n’a pas de père ?/Valentin : il embrasse sa mère/Le chœur : et s’il n’a pas de mère ?/ Alors il se contente d’embrasser sa carrière » qui trouve en écho un peu plus loin « il pense à sa verdure/et s’il n’a pas de verdure ? » et ainsi de suite.

Les arias sont en vers et l’on retrouve facilement de beaux pastiches des « grands » airs du Faust de Gounod (les chansons militaires ou le Roi de Thulé devenu Thuné et amoureux d’une paire de bretelles) mais aussi de la Damnation de Faust de Berlioz (la chanson de la puce devient « le satrape et la puce ou la puce, elle s’attrape »).

La composition musicale est d’une grande richesse, dynamique, plaisante et sans cesse renouvelée pour donner tout son piquant aux airs (en vers) chantés par les chœurs, comme par les solistes. Hervé (de son vrai nom Florimond Ronger), auquel on doit notamment « Mam’zelle Nitouche » est également un habitué de ces compositions virtuoses qui mêlent sans cesse différents styles pour évoquer au mieux musicalement ce qu’il illustre avec talent. La critique de l’époque saluera d’ailleurs la beauté d’une partition d’opéra-bouffe capable d’offrir une telle complexité dans l’orchestration, des chœurs en plusieurs parties, des duos et des trios très enlevés, des solos offrant à tous les personnages de très beaux airs. Hervé sait pasticher la musique de Gounod tout en rendant justice à ses qualités.

Il connait bien la scène et a été Jupiter dans l’Orphée aux enfers d’Offenbach. Pour parfaire sa caricature, il a distribué le rôle de Méphisto à une mezzo-soprano donnant d’entrée de jeu un côté pervers et coquin au diable en jupon, tandis que Marguerite, dont Faust tombe amoureux avant que Satan ne lui jette un sort (« J’ai le diable au corps », réplique fameuse qui annonce l’arrivée du malin), a fait commerce de ses charmes outre-Manche pour « faire connaître la danse éminemment française » (le cancan) et est surnommée « la Blanchisseuse ». Faust enseigne dans une classe de potaches parmi lesquels on trouve Siebel (« êtes-vous un garçon ? » lui demande le professeur) et c’est comme vieux professeur qu’il fait connaissance de la toute jeune Marguerite sœur de Valentin qui la présente avec pour mission de parfaire son éducation.

Méphisto organise un concours pour retrouver la Marguerite de Faust, où se produisent des Marguerite Allemandes, Italiennes, anglaises, ou parlant « javanais » avant de retrouver la sienne.

Et si, pour l’essentiel, les arias sont teintés de drôlerie, ce « Petit Faust » nous propose quand même dans la bouche de Méphisto, le bel air des « quatre saisons » fort lyrique dans un style opératique parfait, juste avant de présenter enfin « sa » Marguerite à Faust qui prononce les fameux « ne permettez-vous pas, charmante demoiselle, qu’on vous offre la main » tourné aussitôt en dérision par Marguerite. Le couplet en allemand « O Vaterland » et l’appellation Gretchen est évidemment un clin d’œil direct à l’original du texte, celui de Goethe mais aussi une mise en situation dans le Paris de 1869. Et la Kermesse devient la Closerie des Vergiss-Mein-Nicht (appellation allemande du myosotis et allusion à la Closerie des Lilas alors lieu de libertinage) à Mabille-Strasse (en référence au célèbre bal Mabille).

Et lorsque Faust retrouvera Marguerite pour finir, ils seront condamnés à danser pour l’éternité au « bal des enfers ».

L’enfer des jeux télévisés

La mise en scène de Sol Espèche pour le spectacle monté à l’Athénée Louis Jouvet, en coproduction avec le Palazzetto Bru Zane, les opéras de Tours et de Reims, part du jeu pour choisir une transposition dans l’univers des émissions de jeux télévisés les plus célèbres des années 80-90.

Elle s’en explique dans sa présentation :  « Hervé a créé une œuvre fédératrice où chacun peut se reconnaître (…), c’est cela qu’il faut faire renaître. Nous allons observer ce Faust, candidat malgré lui, au grand jeu de la vie ».

Les connaisseurs de cette époque (que les plus jeunes n’ont pas connue mais dont les thèmes et titres sont restés célèbres), souriront et même éclateront de rire devant les astuces des transpositions proposées : « l’école des fans » de Jacques Martin pour le premier tableau (devenue « l’école de Faust »), « Tournez Manège » pour la recherche de la « bonne » Marguerite (devenue « Tournez ma chaise »), l’émission de variété « Champs-Élysées » (devenue « Champs déguisés ») ou les débuts de la téléréalité avec la reconstitution du décor de « Loft story » pour le troisième acte « la chambre virginale », pour finir avec ce bal forcé sous l’intitulé « on n’achève bien le show » qui évoque tout à la fois les cours de « Gym Tonic » du temps de Véronique et Davina et le film de Sidney Pollack « on n’achève bien les chevaux » (1969) qui mettait en scène ces « bals », véritables shows mortels, où l’on dansait le plus longtemps possible (et souvent jusqu’à l’épuisement) pour gagner quelques sous durant la grande dépression américaine des années 30.

Après le grand succès de l’adaptation réalisée par la même équipe pour « Coup de roulis » qui avait singulièrement rajeuni l’opérette d’André Messager, ce « Petit Faust » est fort bien troussé et les adaptations minimales, allusions directes à l’actualité, amusantes. En effet, se rajoute -focus télévisuel oblige- un personnage d’animateur-« chauffeur » de salle qui indique au public le comportement attendu par la production (applaudissez, huez, riez) et intervient du haut du balcon dès avant l’ouverture, et l’interruption de la scène de la punition en classe au premier tableau, par un Valentin hors de lui qui, depuis le premier rang, dénonce l’anachronisme d’une telle vision avec des allusions elles-mêmes anachroniques par rapport aux années 80-90 (« je n’ai jamais vu un spectacle aussi lamentable sauf cette Bohème de l’espace »).

Quelques détails (le fiacre devient un taxi) sont modernisés mais l’allant et la justesse des dialogues de l’époque, n’avaient pas besoin de ripolinage sérieux autrement qu’à la marge pour garder leur finesse et leur efficacité.

Et finalement, sans bouder son plaisir devant une soirée où l’on rit beaucoup, l’on en vient à se demander si le fait de rajouter sur la parodie de ce « Petit Faust », une autre parodie, celle des jeux télévisés bien connus, ne fait pas perdre de vue le travail d’origine et son insolence à l’égard de l’art lyrique.

Une belle équipe sur scène et dans la fosse

Mais reconnaissons à l’équipe un très beau travail de mise en scène (Sol Espeche et son assistante Fiona Chauvin), des décors astucieux (Oria Puppo), des costumes adéquats (Sabine Schlemme) et une chorégraphie inventive (Aurélie Mouilhade, Karine Girard).

L’orchestre des Frivolités Parisiennes est dirigé de main de maitre par Sammy El Ghadab qui valorise toutes les richesses de la partition avec sa petite formation toujours aussi vive et efficace. On peut juste regretter que parfois, l’orchestre soit couvert par le plateau doté de micros assez puissants.

La distribution est brillante et chacun incarne son rôle avec un fougue impressionnante (deux heures sans entracte !).

L’irrésistible Valentin est interprété par le baryton Igor Bouin dont la voix puissante et sans cesse teintée d’ironie fait mouche dans un rôle qui a la part belle du « Petit Faust ». L’acteur est par ailleurs alerte et omniprésent. Le ténor Charles Mesrine est un Faust, âgé puis jeune (et assez méconnaissable comme il se doit), qui joue parfaitement bien le côté naïf et influençable du personnage, parfois même un peu balourd. Sa partie est fort bien chantée et le contraste qu’il forme avec la Marguerite, fort rouée, fausse ingénue et vraie maligne, d’Anaïs Merlin est l’une des grandes réussites du show.

On apprécie également à sa juste valeur la mezzo-soprano Mathilde Ortscheidt qui interprète ce Mephisto si différent de l’original de Gounod, rôle travesti dans l’œuvre de Hervé mais qui prend des habits de femmes dans la mise en scène de Sol Espèche. C’est sans doute la plus grande surprise réservée par ce pastiche, d’autant que loin d’être le « méchant », Méphisto chante (très bien) le magnifique rondeau lyrique, l’un des clous romantiques de la partition.

Maxime Le Gall est d’abord un animateur, Patrick Lepion, qui prend peut-être un peu trop de place dans la conception moderne du spectacle, mais qui s’acquitte avec brio de sa tâche de chauffeur de salle avant de devenir le chauffeur de Valentin que Faust achète. Notons qu’il remplace « le pion » de l’opéra-bouffe de Hervé, qui intervient lors de l’acte 1 en réplique au professeur Faust.

Saluons aussi les chœurs dont les interventions sont aussi nombreuses (mais totalement décalées) que celles du Faust de Gounod, formé par une équipe de chanteurs parmi lesquels on retrouve quelques-uns des solistes de rôles secondaires.

Très bien accueilli par un public de tout âge qui s’amuse beaucoup, le spectacle remplit sans problème la salle et annonce une fois encore, un grand succès du répertoire choisi par l’Athénée Louis Jouvet en collaboration avec les Frivolités parisiennes.