Patrice Trigano a écrit une pièce pour témoigner de son admiration pour Artaud. Ewa Kraska a construit une mise en scène au diapason de la puissance conjuguée du texte et de ses interprètes, William Mesguich et Nathalie Lucas. Le résultat est étrange, intemporel, cosmique ; il est un coup de poing littéraire à l’estomac.
L’histoire est librement inspirée de la rencontre de la jeune Florence Loeb, fille du galeriste Pierre Loeb avec le poète Antonin Artaud. Mai 1946, après neuf années d’internement psychiatrique, Antonin Artaud revient à Paris. Il retrouve son ami galeriste Pierre Loeb et fait la connaissance de sa fille Florence. La jeune femme est fascinée par Artaud. La pièce se vit dans la tête de cette femme lentement par un délire amoureux, sous influence des hallucinations vécues par le poète.
Un lit et sur ce lit une jeune femme endormie, Florence. Au fond, un grand panneau drapeau supportera les hallucinations mentales des personnages sous la forme de vidéos psychédéliques. Nous sommes dans la pénombre. Celle-ci enveloppe Artaud, créature étrange habillée d’une blouse blanche qui ne veut décider si elle est une aube, une chemise de soirée ou une camisole.
Je suis dans la lune comme d’autres sont sur leur balcon.
Mesguich interprète de sa voix, de son corps et de son souffle un Artaud troublant et dérangeant ; il incarne ce pantin fantomatique venu de l’au-delà pour bientôt y retourner. Il est un spectre, celui de la passion de Florence.
Le geste riche de l’univers créé par Ewa Kraska combine science-fiction et horreur. La pièce est une messe noire ; la prose de Artaud a ceci de diabolique qu’elle est brutale, agressive, cruelle. Par le truchement de William Mesguich elle nous transperce. Dense, elle s’incruste en nous puis nous déborde. Artaud à l’aube de sa vie nous envahit ; il nous apprend beaucoup sur la vie justement, mais aussi sur le théâtre et sur les petits accommodements nécessaires avec la vertu politique.
Le théâtre double la vie et la vie double le vrai théâtre.
Les mots de Artaud sont ceux d’un psychotique cacochyme qui éructe sur l’amour, sur Dieu, sur le corps qui défèque et sur notre finitude. Il explique que les électrochocs sont un viol de son esprit, et que la psychanalyse est un vilain mot.
Les deux comédiens sont redoutables pour porter haut et fort cette pensée de douleurs. La dernière scène, que nous ne spoilerons pas, est un moment de grâce, d’optimisme et de sanglot.
Incontournable.
Artaud Passion
de Patrice Trigano
Mise en scène : Ewa Kraska
Interprète(s) : William Mesguich, Nathalie Lucas
Théâtre de l’épée de bois, la cartoucherie.
Visuel Affiche