C’est une reprise mais cela reste un évènement. Dans le cadre de la carte blanche que La Scala donne à la comédienne Ariane Ascaride à travers quatre spectacles*, Gisèle Halimi, une farouche liberté, dresse un portrait vivant et à deux corps de la célèbre avocate qui nous a quittés en 2020. Le duo avec Philippine Pierre-Brossolette est complice, même si la pièce peine en cette rentrée à trouver son « angle » sur une combattante.
Lorsqu’on entre dans la grande salle de La Scala, on ne voit qu’elle : la robe de l’avocate. Celle que Gisèle Halimi triture en attendant les verdicts, qu’elle a mille fois rapiécée et que les deux comédiennes se transmettent. Sur l’estrade et le mur en bois de l’élégante scénographie où se projettent parfois la mer et d’autres fois des caricatures, ce sont donc deux corps et deux voix qui incarnent une vie de combats pour une certaine idées de la justice d’après le livre d’entretiens entre l’avocate et la journaliste Annick Cojean.
Les phases se succèdent et ne se ressemblent pas : l’enfance tunisienne, vite évoquée, les huit ans de défense des militants du Mouvement national algérien poursuivis par la justice française et les menaces qu’elle a subies. L’action contre la torture et le viol comme arme politique, puis le féminisme et l’action pour dépénaliser le viol, et enfin le moment politique et ses désillusions. Le texte met en avant les épisodes héroïques de sa vie, le domestique se limitant à la charge mentale d’essayer de faire son métier et de raconter des histoires le soir à ses fils…
Le portrait à deux voix serait passionnant s’il apportait de la nuance et des ambiguïtés. Malgré ma présence scénique exceptionnelle d’Ariane Ascaride et la complicité patente entre les deux comédiennes, elles semblent planer un peu loin de leur texte, écrasées par un mythe qu’elle endossent depuis peut-être trop longtemps. Le texte achoppe, les anecdotes se suivent sans former de trame autre que temporelle. Points d’ombre et mots d’époque résonnent et on se dit en tant que public que les comédiennes pourraient s’accrocher à un juteux signifiant comme « quolibet », ou à ces partenariats-rivalités avec des femmes d’autres milieux sociaux comme Simone de Beauvoir ou Simone Veil pour donner du fond à cette hagiographie.
Cela pourrait même préciser ce qu’est le féminisme et ce qu’ont été ses paradoxes qui nous construisent encore aujourd’hui. Malheureusement, faute d’angle ou d’interprétation, la pièce semble – à l’heure actuelle – un peu longue à enfiler les épisodes les uns après les autres. On en ressort néanmoins avec une meilleure connaissance des combats de l’avocate et la joliesse d’une sororité en acte sur scène avec les deux actrices.
*Les trois autres pièces de la carte blanche à Ariane Ascaride à La Scala sont : Du bonheur de donner de Bertolt Brecht, Touchée par les fées de Marie Desplechin et le spectacle musical Paris retrouvée.
(c) Thomas O’Brien