Dans le cadre du Temps d’aimer la danse 2023, le Ballet de l’Opéra national du Rhin et la Compagnie des Petits champs nous ont offert en primeur une version théâtrale et dansée inspirée du roman d’Horace McCoy, They Shoot Horses, Don’t They ? (1935).
Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro sont partis de l’œuvre originale et non du film éponyme réalisé en 1969 par Sydney Pollack, estimant que celui-ci était trop focalisé sur le personnage de Gloria. C’est ce parti qu’avaient pris Robert Hossein et le chorégraphe Rick Odums lorsqu’ils avaient porté ce texte à la scène, à Paris, en 2004. De fait, comme chez McCoy, on sait dès le départ que les choses ne vont pas bien tourner, le protagoniste (et narrateur de roman) évoquant au passé sa mésaventure lors d’un marathon de danse en Californie. Le premier chapitre est en forme de flashback et a pour titre : « Accusé, levez-vous… » À Bayonne, le pot aux roses est dévoilé en ces termes : « Ils ont la dalle et ils vont finir pas s’entretuer. »
L’héroïne ou anti-héroïne a pour prénom Gloria, ce qui signifie qu’elle cherche, comme ses autres concurrents, à se faire une place au soleil – sous les sunlights hollywoodiens. À avoir ses quinze minutes de célébrité. Elle n’intervient qu’au bout d’une vingtaine de minutes de musique et de danse assurées par un formidable orchestre réduit au minimum mais pouvant tout jouer, du jazz à la java ou, plutôt, du swing au funk, en passant par le rock, la pop et le disco – des tunes New Orleans, des morceaux des Bee Gees, de Stevie Wonder and Co. La danse aussi est remarquablement interprétée par la troupe au complet du ballet sis à Mulhouse. Aussi bien les passages à l’unisson que les routines de couples. Le contemporain l’emporte sur les expressions des années trente comme, par exemple, le lindy hop.
Le roman de McCoy date de 1935 et tient bien sûr compte du climat dépressif de l’après-Crise de 29. La dépression est aussi ce qui caractérise le personnage principal féminin. Avant sa parution, un film tout aussi noir de Mervyn LeRoy, Hard to Handle (1933), avec le comédien teigneux et excellent claquettiste James Cagney dans le rôle d’un organisateur de marathons sans scrupule, débutait par une séquence de danse d’endurance. En France, le photographe Arax a documenté les marathons des années trente (cf. la collection du Musée Niépce de Chalon-sur-Saône). La consultation des archives antérieures à la Crise économique nous a permis de constater que le phénomène des marathons de danse n’est pas directement lié à celle-ci. Nombre de photos du fonds Paul Getty datant des années vingt – certaines, de 1923, prises à Washington, d’autres, de 1928, provenant du Minnesota, de Boston et du Madison Square Garden de New York. Cet engouement correspond au transfert de New York (et du New Jersey) à la Californie de l’industrie cinématographique naissante.
L’usine à rêves hollywoodienne attira alors une jeunesse d’apprentis acteurs et de figurants. Un court métrage d’avant-garde de l’époque est d’ailleurs consacré à la question des figurants de cinéma : The Life and Death of 9413 a Hollywood Extra (1928) coréalisé par Robert Florey et Vorkapić. C’est un des ressorts du roman originel et de son adaptation théâtrale par Robert Hossein (qui faisait le rapprochement du marathon avec les télé-crochets actuels genre Star Academy). La version de Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro rappelle, s’il le fallait, que le marathon est censé attirer des personnalités du tout-Hollywwod. Ces co-auteurs pratiquent nécessairement des coupes dans le récit (l’arrestation du danseur Mario, recherché par la police ; le départ soudain d’un compétiteur susceptible d’être accusé de pédophilie ; la suppression du personnage de Mme Layden). Ils s’autorisent quelque ajout (scène de fornication de deux couples dans une cage) et quelque discrépance (la grippe intestinale du narrateur est ici attribuée à Gloria).
L’essentiel est gardé et mis en scène ou stylisé par la danse. En outre, les deux variations du ballet Giselle donnent un supplément d’âme et de sens au marathon : Heinrich Heine et Théophile Gautier ayant imaginé les willis – des spectres ou des zombies ne cessant de danser. Le fondu au noir final ne permet pas de savoir si le narrateur est coupable ou innocent. L’auteur d’un féminicide ou d’un suicide assisté.
La 33e édition du Temps d’aimer la danse se déroule jusqu’au 17 septembre 2023 à Biarritz, mais aussi à Bayonne, Anglet, St-Pée-sur-Nivelle, Bardos, Urt, Saint-Jean-Pied-de-Port, Tardets, Mauléon, Saint-Palais et Errenteria.
Visuel : On achève bien les chevaux, photo © Stéphane Belloc/CCN Ballet de l’Opéra national du Rhin.